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L’action en diffamation contre le maire Ford : « Je ne peux accuser personne »

Fasken
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Bulletin Litiges et résolution de conflits

En bout de ligne l'affaire est simple :  Le maire de Toronto, Rob Ford, s'est défendu avec succès dans le cadre d'une action en diffamation largement publicisée en raison de l'application soigneuse, par le juge de première instance, des principes fondamentaux du droit en matière de diffamation aux propos réellement tenus et faisant l'objet du litige.

Dans l'affaire Foulidis v. Ford[1], le demandeur, un homme d'affaires de Toronto, a poursuivi le maire Ford pour des déclarations qu'il a faites au comité de rédaction du Toronto Sun pendant la campagne électorale municipale de Toronto en 2010.  Bien que le demandeur ait réclamé des dommages-intérêts à l'égard de la rediffusion par le Sun desdites déclarations, seul le maire Ford a été poursuivi. 

Dans les déclarations qu'il a faites au Sun, le maire Ford a mentionné que la ville avait attribué un contrat de 20 ans sans appel d'offres à une entreprise ayant des liens avec le demandeur.  Le maire Ford a fait mention d'une réunion à huis clos qui avait été tenue pour discuter du contrat, et il a affirmé qu'il n'avait jamais été témoin d'« [TRADUCTION] autant de corruption et de machinations que lors de ces réunions à huis clos.  Et si [nom de l'entreprise] n'est pas corrompue, aussi bien prétendre que la corruption n'existe pas.  Je ne peux accuser personne, ni situer le problème, mais pourquoi des réunions à huis clos …? »  Il a aussi déclaré : « [TRADUCTION] cette affaire a un parfum de scandale… ».

Le juge John Macdonald a conclu que les propos du maire Ford ne comprenaient pas les éléments essentiels à l'action en diffamation du demandeur.  Pour prouver prima facie sa cause en diffamation, un demandeur doit établir trois éléments : premièrement, que les propos visent le demandeur; deuxièmement, que les propos ont été transmis à un tiers; et troisièmement, que les propos faisant l'objet de la plainte sont diffamatoires pour le demandeur, au sens où ils tendent à entacher sa réputation aux yeux d'une personne raisonnable.  Une fois ces éléments établis, la loi ontarienne présume que les propos sont faux et que le demandeur a subi des dommages généraux[2].  Il incombe ensuite au défendeur d'établir ses moyens de défense, par exemple en invoquant la justification des propos (véracité), une immunité absolue ou l'immunité relative, ou le commentaire loyal.

La question de la publication ne pouvait être contestée : en parlant au Sun ouvertement, le maire Ford était légalement responsable de la rediffusion de ses propos par le Sun[3]. Cependant, le juge Macdonald a conclu que le demandeur n'avait pas établi une preuve suffisante à sa face même étant donné que les propos du maire Ford n'étaient pas diffamatoires à l'égard du demandeur et qu'ils ne portaient pas sur le demandeur personnellement.  Étant donné que le demandeur n'a pas réussi à établir deux des trois éléments essentiels d'une réclamation en diffamation, le juge Macdonald a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les moyens de défense plaidés par M. Ford, et il a rejeté l'action du demandeur.

En ce qui concerne la question de savoir si les propos du maire Ford étaient diffamatoires, le juge Macdonald a appliqué le principe établi de longue date selon lequel la signification des mots censés être diffamatoires est celle que donnerait « [TRADUCTION] un lecteur ordinaire, raisonnable et de bonne foi »[4], qui n'est pas naïf, trop soupçonneux ou à la recherche de scandales[5].  Le juge Macdonald a également appliqué le principe établi selon lequel les mots censés être diffamatoires doivent être pris dans leur ensemble.  Autrement dit, si une partie des propos constitue une diffamation à l'égard du demandeur et que l'autre partie des propos neutralise la diffamation, le « poison et l'antidote » sont réunis et il n'y a aucune diffamation donnant lieu à une action[6].

Après avoir examiné avec soin les propos du maire Ford dans leur ensemble, la question clé pour le juge Macdonald a été  la déclaration faite au Sun par le maire Ford à l'effet quebien que M. Ford fût préoccupé par la possibilité de corruption , il a affirmé « Je ne peux accuser personne » et « Je ne peux situer le problème ».  Le juge Macdonald a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION] La signification des propos en cause ne fait aucun doute, si les propos sont interprétés de façon raisonnable et dans leur contexte.  Le défendeur a exprimé des soupçons de corruption et il a immédiatement et clairement admis que ces soupçons n'étaient fondés sur aucun fait ou qu'ils étaient insuffisants pour qu'il puisse accuser quiconque.  À mon avis, il a clairement et explicitement évité qu'un sens diffamatoire soit donné à ses soupçons de diffamation.[7]

En ce qui concerne la question de savoir si les propos du maire Ford renvoient personnellement au demandeur, le juge s'est de nouveau tourné vers un principe fondamental en droit de la diffamation : étant donné qu'une action en diffamation est fondée sur un préjudice que le demandeur est censé avoir subi en raison de la publication de propos diffamatoires, il est essentiel que les propos faisant l'objet de la plainte visent personnellement le demandeur[8].

Dans les déclarations qu'il a faites au Sun, le maire Ford a uniquement mentionné le nom de l'entreprise ayant des liens avec le demandeur.  Il n'a pas mentionné le nom du demandeur.  Le juge Macdonald a conclu que bien que le demandeur était connu pour agir pour le compte de l'entreprise en question, il n'a pas prouvé qu'il était la seule et principale personne à le faire[9].  Il a également conclu que toute allégation de renvoi au demandeur personnellement était affaiblie par la déclaration claire du maire Ford selon laquelle il ne blâmait personne et n'accusait personne d'une faute.[10]  En conséquence, le juge Macdonald a déclaré que « [TRADUCTION] les propos en cause, interprétés raisonnablement et dans leur contexte, ne renvoient pas au demandeur car ils ne renvoient à personne »[11].

Il reste à voir si l'interprétation des propos du maire Ford par le juge Macdonald sera contestée en Cour d'appel.  Il demeure que l'affaire Foulidis v. Ford nous rappelle, de façon instructive, qu'il est toujours essentiel de tenir compte des principes fondamentaux en diffamation et des propos faisant l'objet de la plainte dans leur ensemble.


[1] 2012 ONSC 7189, publiée le 27 décembre 2012.

[2] Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, par. 28, juge en chef McLachlin; WIC Radio Ltd. c. Simpson, [2008] 2 R.C.S. 420, par. 1, juge Binnie.

[3] 2012 ONSC 7189, par. 9.

[4] Charleston v. News Group Newspapers Ltd., [1995] 2 A.C. 65, à 71, Lord Bridge (H.L.).

[5] Bonnick v. Morris, [2003] 1 A.C. 300 au par. 9, Lord Nicholls (P.C.).

[6] Charleston et al. v. News Group Newspapers Ltd., [1995] 2 A.C. 65 à 70, 72, Lord Bridge (H.L.).

[7] 2012 ONSC 7189, par. 44.

[8] Knupffer v. London Express Newspaper Ltd., [1944] A.C. 116 à 118-19, Viscount Simon (H.L.).

[9] 2012 ONSC 7189, par. 35.

[10] 2012 ONSC 7189, par. 36.

[11] 2012 ONSC 7189, par. 36.

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Auteur

  • Peter A. Downard, Associé | Diffamation et médias, Toronto, ON, +1 416 865 4369, pdownard@fasken.com

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