En juillet dernier, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a rendu une décision importante pour le Canada, laquelle porte sur des allégations de discrimination fondée sur la citoyenneté dans le contexte de l'emploi : soit l'affaire Haseeb v Imperial Oil Limited, 2018 HRTO 957 (PDF disponible en anglais seulement). Le Tribunal a conclu que les pratiques d'embauche limitant expressément un emploi aux personnes ayant le statut de citoyen ou de résident permanent constituent une forme de discrimination directe, pour laquelle aucune exigence professionnelle de bonne foi ne peut être invoquée. La décision aura sans aucun doute une incidence, à l'échelle nationale, sur les pratiques d'embauche des employeurs de l'ensemble du pays et de divers secteurs.
Les Faits
Le candidat était un étudiant étranger en ingénierie. Titulaire d'un permis d'études, il en était à son dernier semestre d'études à l'Université McGill. Une fois diplômé, le candidat allait être admissible à recevoir un permis de travail post-diplôme (PTPD) qui lui donnerait le droit de travailler au Canada, peu importe le lieu et l'employeur, pour une période maximale de trois ans. Le candidat avait indiqué qu'il comptait participer au programme de permis de travail post-diplôme (PPTPD) comme voie d'accès vers la résidence permanente et ainsi poursuivre une carrière d'ingénieur au Canada.
L'étudiant a posé sa candidature pour un emploi chez Imperial Oil. Avant de postuler, il avait entendu dire qu'Imperial Oil avait pour habitude d'embaucher uniquement des citoyens canadiens ou des résidents permanents du Canada. Afin de ne pas être écarté trop hâtivement, il a fourni de fausses déclarations tant dans sa candidature qu'au cours de deux entretiens d'embauche, affirmant qu'il satisfaisait à l'exigence de permanence mise en place par l'entreprise. En définitive, le plaignant était le meilleur candidat pour Imperial et s'est vu offert le poste. L'embauche dépendait de la capacité du candidat à fournir les preuves de sa citoyenneté canadienne ou de son statut de résident permanent. Ce dernier, étant dans l'incapacité de le faire, a alors demandé à Imperial de faire une exception, ce qui lui a été refusé.
Imperial a admis que l'exigence d'éligibilité était une forme de discrimination directe à l'égard des candidats fondée sur leur aptitude à travailler au Canada à titre permanent. Imperial a néanmoins soutenu que l'exigence de permanence était tant une exigence professionnelle de bonne foi qu'une pratique faisant intégralement partie de leur planification de la relève. Malgré ces affirmations, Imperial a reconnu qu'elle avait renoncé à l'exigence de permanence à maintes reprises lorsqu'un employé potentiel présentait des compétences ou une formation hautement spécialisées.
La décision
Le Tribunal a rejeté la position de Imperial selon laquelle l'exigence de permanence était une exigence professionnelle de bonne foi, et ce pour trois raisons :
1. À première vue, la politique établissait une différence entre les candidats citoyens ou résidents permanents du Canada et les autres. L'exigence de permanence constituait, par conséquent, une forme de discrimination directe. Le fait que les résidents permanents et les citoyens canadiens bénéficient d'un avantage à l'embauche par rapport au candidat ne signifie pas qu'il y a absence de discrimination.
2. Il est bien établi qu'une politique ou une pratique est justifiable uniquement si elle constitue une exigence professionnelle de bonne foi. En Ontario, toutefois, au vu de la formulation du Code des droits de la personne (le « Code »), les défenses disponibles en matière de discrimination directe sont très limitées. Il n'existait aucune défense dans cette affaire. Quant à la discrimination indirecte, la défense générale fondée sur l'exigence professionnelle de bonne foi demeure disponible. Même en supposant que l'affaire portait sur un cas de discrimination indirecte, le Tribunal a conclu qu'Imperial n'avait pas réussi à prouver que son exigence de permanence était en fait une exigence professionnelle de bonne foi.
a. En premier lieu, l'employeur était dans l'incapacité de prouver que l'exigence de permanence était de fait liée à une tâche précise devant être effectuée par un ingénieur de projet. Jusqu'à ce jour, les « exigences professionnelles » ont toujours été liées à des compétences nécessaires à l'exécution, de façon sécuritaire, des tâches constituant un élément essentiel de l'emploi.
b. En second lieu, Imperial n'avait pas prouvé que le fait de circonscrire l'embauche aux citoyens ou résidents permanents du Canada était réellement un outil effectif de « planification de la relève ».
c. En dernier lieu, l'employeur avait continuellement renoncé à l'exigence de permanence lorsque ceci lui était avantageux ou opportun. Cette pratique suggère que l'exigence de permanence était en réalité un critère optionnel, et non pas une nécessité dans le cadre de l'exécution du travail.
3. À titre subsidiaire, le Tribunal a conclu que même s'il était conclu que l'exigence de permanence était raisonnable et de bonne foi, Imperial n'avait pas présenté de preuves démontrant qu'elle subirait une contrainte excessive si elle tentait de prendre des mesures d'accommodement pour les personnes touchées par cette exigence.
Le Tribunal a déclaré que la politique d'exigence de permanence mise en place par Imperial constituait une violation directe du paragraphe 5(1) du Code. Le Tribunal a autorisé la tenue d'une audience subséquente afin d'adjuger des dommages-intérêts, dans l'éventualité où les parties seraient dans l'incapacité de s'entendre sur le sujet.
Meilleures pratiques
Cette décision est la première en Ontario traitant directement de la discrimination fondée sur la citoyenneté dans le contexte de l'emploi. Tandis que chaque province et territoire détiennent des mesures législatives différentes en matière de droits de la personne, ces dernières interdisent toutes la discrimination fondée sur la citoyenneté. Ainsi, il est fort possible d'anticiper que l'affaire Haseeb aura un effet persuasif important dans chacune des provinces et territoires. Les employeurs, où qu'ils se retrouvent au pays, devraient par conséquent prendre bonne note de cette décision et modifier leurs processus d'embauche autant que nécessaire, notamment en faisant ce qui suit :
• Supprimer toute question concernant la citoyenneté ou le statut d'immigrant de tous les formulaires de candidature et des avis de postes à pourvoir. Les questions d'ordre général du type « Êtes-vous légalement autorisé à travailler au Canada? » sont acceptables, pourvu que les employeurs évaluent de la même façon les citoyens canadiens, les résidents permanents que les détenteurs d'un permis de travail. Les descriptions de poste et les avis de postes à pourvoir devraient, par ailleurs, faire l'objet d'une relecture exhaustive.
• Veiller à ce que l'ensemble des politiques d'embauche fondées sur l'égalité des chances s'applique à toutes les personnes légalement autorisées à travailler au Canada. Les politiques ne devraient pas favoriser un groupe de personnes au détriment d'un autre.
En d'autres termes, la décision ne modifie en rien le fait que les candidats doivent être légalement autorisés à travailler au Canada avant d'entrer en fonction. Elle défend simplement le principe selon lequel les pratiques d'embauche et d'emploi des employeurs ne peuvent faire de distinction entre les citoyens et les résidents permanents, d'une part, et les personnes admissibles à travailler aux termes d'un permis de travail valide, d'autre part.