Le 17 juillet 2019, la Commission du Droit de l’Ontario (la « CDO ») a publié un rapport attendu depuis longtemps intitulé Les recours collectifs: Objectifs, constats et réformes (Class Actions: Objectives, Experiences and Reforms). Il s’agit rapport final produit au terme de l’examen par la CDO de la Loi de 1992 sur les recours collectifs (la « LRC »), la première évaluation des recours collectifs traités en vertu de cette loi depuis son adoption, il y a 27 ans.
Le projet de la CDO a été mené sur une période de 24 mois en consultation avec des intervenants intéressés, notamment des cabinets d’avocats représentant les parties demanderesses et les parties défenderesses (y compris des représentants de Fasken), des organisations d’avocats établies au Canada et aux États-Unis, des juges, des membres de groupes, des représentants d’ONG, des décideurs politiques, des administrateurs de tribunaux, des universitaires et des administrateurs de réclamations. L’objectif de la CDO était d’analyser les recours collectifs et leurs résultats en fonction des trois objectifs de la LRC: améliorer l’accès à la justice, renforcer l’économie des ressources judiciaires, et favoriser la modification des comportements.
Le premier document de consultation de la CDO, qui a été publié en mars 2018, a établi un certain nombre de questions en vue de recueillir les commentaires requis pour analyser l’impact de la LRC jusqu’à présent et pour recommander des réformes. Ce document de consultation a permis de cerner différents domaines de réforme, notamment les règles sur les dépens, les retards, la certification, l’approbation de la transaction et des honoraires et les procédures d’appel (toutes les questions posées dans le cadre de la consultation sont présentées dans l’Annexe C du rapport final).
Le rapport final est organisé autour de trois questions principales:
i) Les recours collectifs en Ontario atteignent-ils correctement leurs trois objectifs: améliorer l’accès à la justice, renforcer l’économie des ressources judiciaires, favoriser la modification des comportements?
ii) La LRC reflète-t-elle les problèmes et la pratique actuels du recours collectif?
iii) La LRC reflète-t-elle les priorités actuelles de la justice en Ontario?
Le rapport, qui est divisé en douze chapitres, dresse une liste de 47 recommandations (présentées dans l’Annexe A du rapport) relativement à la réforme de la LRC et des politiques connexes.
Principaux points à retenir:
Étude empirique:
Dans le rapport, la CDO mentionne qu’elle a établi un profil empirique des recours collectifs en Ontario en effectuant un suivi du nombre et du genre de recours collectifs intentés entre 1993 et février 2018. Confirmant les conclusions et la perception de Fasken en tant que conseiller juridique de nombreux défendeurs dans une grande variété de recours collectifs, les données montrent une augmentation du nombre de recours collectifs au cours des dernières années. Ces recours collectifs couvrent des questions de droit très variées, les plus fréquentes étant celles qui relèvent de la Loi sur les valeurs mobilières (16%), de la Loi sur la concurrence (15%) et du droit de la responsabilité du fabricant (15%). Même si ses données ne sont pas exhaustives, la CDO estime que 73% des motions en certification contestées sont acceptées, en tout ou en partie.
Les travaux de la CDO ont également permis de mettre à jour certains problèmes quant à l’établissement d’un fondement empirique exhaustif. Le rapport prône une collecte accrue de données, l’établissement de politiques fondées sur des données probantes, la transparence et le libre accès aux données, et il recommande que des modifications soient apportées à la LRC en vue d’atteindre ces objectifs.
Conduite du recours:
Le rapport critique l’inefficacité et l’incohérence du système pour trancher des questions liées à la conduite de recours collectifs qui sont en concurrence en Ontario, et recommande de modifier la LRC afin d’y inclure des dispositions qui assureraient une meilleure gestion des auditions de motions relatives à l’administration des recours. Plus précisément, la CDO recommande de simplifier les critères permettant de faire un choix entre des cabinets concurrents, et d’ajouter des dispositions qui (1) exigent que les motions relatives à l’administration des recours soient présentées rapidement après le début du premier recours; (2) visent à s’assurer que les ordonnances relatives à l’administration des recours soient définitives, et (3) interdisent de recouvrer les coûts liés à des motions relatives à l’administration des recours auprès des membres des groupes.
Mesures prises à l’égard de recours collectifs multi-juridictionnels:
Le rapport recommande de nouvelles dispositions permettant de gérer plus efficacement des recours multi-juridictionnels. Il prône notamment des modifications législatives visant à: harmoniser davantage les régimes en matière de recours collectifs de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et de l’Ontario; favoriser la coopération entre les ministres de la Justice à tous les échelons afin d’établir des règles nationales tenant compte des décisions provinciales en matière de certification et de recours multi-juridictionnels; et encourager les tribunaux à mettre au point des méthodes de formation uniformes.
Procédures de certification:
La CDO a rejeté les propositions d’un certain nombre de groupes qui demandaient à la CDO de recommander d’intégrer une forme d’évaluation du mérite dans la motion en certification et une élévation du seuil de la preuve fondée « sur un certain fondement factuel » dans le cadre de motions en certification. Tenant compte du point de vue de la défense selon lequel l’accès à la justice devrait être « une rue à double sens de circulation », la CDO a formulé des recommandations en vue de renforcer le système de certification. Elle a notamment (1) encouragé les tribunaux à appliquer plus rigoureusement le critère du « meilleur moyen » énoncé à l’alinéa 5(1)(d) de la LRC, et d’accorder une place plus importante aux recours alternatifs; (2) d’utiliser plus fréquemment des motions en jugement sommaire préalables à la certification ou des motions visant à radier des actions, en vue de réduire éventuellement l’ampleur des problèmes avant l’audience relative à la motion en certification; (3) simplifier le processus d’appel et égaliser les possibilités d’appel des deux parties en accordant à chacune d’elles le droit de faire appel devant la Cour d’appel des décisions rendues relativement à des motions en certification, et (4) élaborer avec les intervenants appropriés une directive de pratique qui intègre les meilleures pratiques pour les motions en certification.
Approbation de la transaction et distribution:
Ce chapitre présente une analyse des problèmes auxquels fait face un juge qui évalue une proposition de transaction dans un « vide adversatif » du fait que les défendeurs et les demandeurs ont un intérêt commun, celui de faire approuver leur entente négociée. Le rapport suggère des réformes qui aideraient les juges à examiner et à évaluer plus efficacement les transactions, notamment avec l’introduction de l’obligation pour les avocats représentant des groupes de produire des affidavits distincts relativement au critère d’approbation d’une transaction (y compris une norme de communication d’informations complètes et fidèles comparable à celle qui est imposée dans le cadre d’instances ex parte), et le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de nommer un ami de la cour relativement à des motions d’approbation.
Le rapport fait mention d’une autre sorte de vide à l’étape de la distribution des bénéfices liés à la transaction. Il s’agirait d’un « vide informationnel » attribuable au fait que les tribunaux n’ont pas accès à des informations empiriques ou à des recherches indépendantes qui pourraient être utilisés pour évaluer un projet de plan de distribution des bénéfices liés à la transaction et pour comparer le plan projeté à d’autres plans semblables. Le rapport recommande: d’améliorer la transmission d’avis; de produire des rapports détaillés sur l’issue finale; et de nouvelles dispositions régissant les administrateurs de réclamations et autorisant expressément les distributions cy-près.
Approbation des honoraires des avocats représentant des groupes:
Le rapport fait mention du fait que l’approbation des arrangements en matière d’honoraires devrait faire l’objet d’une plus grande attention pour s’assurer que le montant des honoraires tient compte de la nécessité de rémunérer et de motiver les avocats représentant des groupes, en évitant une rémunération excessive au détriment du groupe. La CDO recommande quatre catégories de modifications législatives qui réduiraient le cynisme du public à l’égard des honoraires des avocats des demandeurs et qui faciliteraient l’accès à la justice pour les membres des groupes: (1) préciser que les risques assumés par les avocats représentant du groupe et les résultats obtenus devraient être les deux principaux facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si les honoraires réclamés sont raisonnables; (2) autoriser le tribunal à nommer un ami de la cour relativement aux motions d’approbation des honoraires des avocats représentant des groupes; (3) accorder aux tribunaux le pouvoir de rajuster les honoraires des avocats représentant des groupes; et (4) autoriser les tribunaux à ordonner qu’un petit pourcentage des honoraires soit retenu jusqu’à ce que soit déposé le rapport final sur l’issue du processus de distribution des bénéfices liés à la transaction, c’est-à-dire le montant total distribué et la quote-part revenant à chaque membre du groupe.
Coûts:
La CDO recommande de modifier la LRC pour abolir la règle voulant que les coûts soient à la charge du perdant dans le cadre des motions en certification et des motions connexes. Ces motions devraient plutôt être régies par une règle en vertu de laquelle chacune des parties paie ses propres frais indépendamment de l’issue de l’action, tandis que la règle traditionnelle des coûts à la charge du perdant régirait toutes les autres phases du recours, y compris les motions en radiation et les motions de jugement sommaire.
Financement par des tiers:
La CDO recommande de modifier la LRC pour permettre expressément le financement par des tiers des recours collectifs, mais sous réserve de conditions prescrites, et de modifier la Loi sur le Barreau pour donner au Fonds d’aide aux recours collectifs un plus grand pouvoir de décision quant aux arrangements de financement appropriés pour chaque recours.
Modification des comportements:
La CDO prétend que sa recherche empirique indique que les recours collectifs incitent généralement à une plus grande conformité, bien que les effets varient beaucoup d’un recours à l’autre. Le rapport cerne deux principaux domaines où la CDO juge qu’une plus grande attention portée à la modification des comportements pourrait améliorer la prise de décisions judiciaires, soit l’approbation des transactions et l’approbation des honoraires des avocats représentant des groupes. Le rapport propose que les rapports obligatoires sur l’issue d’une action dont il fait mention plus haut doivent comprendre des informations sur les répercussions au niveau de la modification des comportements, notamment des changements dans les pratiques des entreprises ou des gouvernements et d’autres modifications des comportements qui peuvent être attribuables à un recours collectif.
Moyens de faire appel de décisions en matière de certification:
La CDO propose de modifier l’article 30 de la LRC pour permettre aux demandeurs et aux défendeurs de faire appel d’ordonnances de certification directement auprès de la Cour d’appel de l’Ontario, et de supprimer l’appel intermédiaire devant la Cour divisionnaire. La CDO propose de supprimer l’inégalité créée par l’exigence voulant que le défendeur doive obtenir l’autorisation du tribunal pour faire appel d’une décision accordant la certification, tandis que le demandeur a automatiquement le droit de faire appel d’une décision refusant la certification. Ces changements permettront de supprimer des retards et des complications inutiles et d’accorder aux parties le même délai pour faire appel.
Prochaines étapes
La CDO soumettra officiellement son rapport au gouvernement de l’Ontario. Le gouvernement actuel s’est montré intéressé à entreprendre une réforme de la législation sur les recours collectifs, mais il ne s’est pas encore engagé formellement à le faire. Si elles sont édictées, les recommandations de la CDO amélioreront le processus de recours collectif pour les défendeurs, même si certains aspects problématiques du processus ne seront pas supprimés.
Si vous souhaitez obtenir des informations supplémentaires au sujet du rapport de la CDO ou sur l’analyse par Fasken des recours collectifs au Canada, n’hésitez pas à communiquer avec les auteurs du présent bulletin ou avec d’autres avocats de Fasken.