L'un des principaux différends concernant l'essor et la prolifération de l'économie à la demande est de savoir si les travailleurs de cette économie sont des employés ou des entrepreneurs. Les entreprises traitent ces travailleurs comme des entrepreneurs indépendants, alors que certains travailleurs protestent en affirmant qu'ils sont des employés. Cette question a des répercussions sur leur capacité de se syndiquer. La Commission des relations de travail de l'Ontario (la « Commission ») tranchera la question lorsqu'elle aura déterminé si les livreuses et livreurs de Foodora (les « livreuses et livreurs ») ont le droit de se syndiquer.
Campagne de syndicalisation
Selon le site Investopedia, l'économie à la demande, soit l'économie des petits boulots, est constituée de travailleurs occupant un ou des emplois à temps partiel, temporaires ou flexibles[1]. Elle inclut notamment des programmeurs pigistes, des promeneurs de chiens, des influenceurs sur les médias sociaux et des personnalités sur YouTube[2]. Selon la Banque du Canada, 30 % des Canadiens ont participé à l'économie à la demande en 2018[3].
Au début de mai 2019, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le « STTP ») a lancé une campagne visant à syndiquer les livreuses et livreurs à vélo et en voiture de Foodora de Toronto[4]. Les principales demandes des livreuses et livreurs consistent en la mise en œuvre de meilleures mesures en matière de santé et de sécurité étant donné les exigences liées à la conduite automobile et à vélo, et en l'adoption d'une rémunération équitable, car les taux de rémunération n'ont pas augmenté depuis trois ans[5].
Le 31 juillet 2019, le STTP a déposé une requête afin de devenir l'agent négociateur exclusif des livreuses de Foodora[6]. La Commission a ordonné la tenue d'un scrutin secret afin de déterminer le désir des livreurs et livreuses d'être représenté par le STTP[7]. Peu avant la tenue du vote électronique, le STTP a allégué que Foodora avait « us[é] de mensonges et de désinformation » pour tenter d'influencer les livreuses et livreurs à voter « non » et il a également déposé une plainte de pratique déloyale de travail[8]. des allégations de pratiques déloyales de travail sont communes dans le contexte d'une campagne d'accréditation. De son côté, Foodora a déclaré que les livreuses et livreurs ne pouvaient pas être représentés par un syndicat, car ils sont des entrepreneurs indépendants ou dépendants et non pas des employés[9]. Après la tenue du vote, les urnes ont été scellées. La Commission traitera d'abord des questions préliminaires : soit la question de savoir si le slivreurs et les livreuses sont des entrepreneurs indépendants et si Foodora est responsable de pratiques déloyales de travail[10].
Foodora affirme que ses livreuses et livreurs sont des entrepreneurs indépendants, car ils (a) contrôlent leurs heures et leur lieu de travail, ainsi que leur rendement et leur performance au travail, (b) fournissent leur propre matériel et outil pour effectuer leur travail, (c) peuvent (et le font souvent) simultanément fournir des services à d'autres entreprises, y compris des concurrents de Foodora et (d) ont la possibilité de tirer profit de leur performance.
Un tel résultat aurait des conséquences pour Foodora et les livreuses et livreurs. Ils pourraient se syndiquer et participer au processus de négociation collective. Ceci pourrait également affirmer les droits des livreurs et livreuses à l'égard de l'application des normes d'emploi et de la législation en matière de santé et de sécurité au travail. De plus, Foodora aurait à participer aux prestations offertes par les régimes gouvernementaux, comme les prestations d'assurance-emploi et celles du Régime de pensions du Canada (RPC).
Cette décision aurait également un effet d'entraînement dans l'ensemble de l'économie à la demande. Les livreuses et livreurs de Foodora deviendraient la toute première unité de négociation du Canada au sein de l'économie à la demande et, par conséquent, encourageraient d'autres travailleurs de l'économie à la demande à contester leur statut d'entrepreneurs indépendants. Point important à noter, cette décision pourrait aussi faire en sorte que les livreuses et livreurs ne seraient plus maîtres de leur horaire de travail et d' autres termes relatifs aux services qu'ils rendent. Une telle perte de liberté éroderait les bases de l'économie à la demande et, pour certaines personnes, éliminerait le principal avantage d'être un travailleur de l'économie à la demande. Par ailleurs, des travailleurs pourraient être contraints d'abandonner l'économie à la demande, car le travail ne serait plus temporaire ou flexible. Il semble en tout cas que pour les livreuses et livreurs de Foodora les avantages associés au statut d'employé l'emportent sur cette liberté et cette flexibilité. Pour leur part, les livreurs et livreuses perdraient un grand nombre des libertés dont ils bénéficient en tant qu'entrepreneurs, notamment leur capacité à contrôler quand et comment ils travaillent et leur capacité à travailler pour des concurrents. Finalement, une telle décision de la Commission éroderait les bases de l'économie à la demande et éliminerait le principal avantage d'être un travailleur de l'économie à la demande.
L'audience visant Foodora et STTP se tiendra de novembre 2019 jusqu'à la fin de janvier 2020. Nous continuerons à informer nos lecteurs à l'égard de cet important dossier.
[1] Investopedia, « Gig Economy » [en anglais seulement]. Consulté le 26 août 2019.
[2] Pour obtenir de plus amples renseignements sur les avantages économiques et sociaux de l'économie à la demande, se reporter au bulletin du 4 avril 2019 intitulé L'économie à la demande au Canada : faire place à l'avenir du travail des auteurs Sherisa Rajah et Shane Todd.
[3] Olena Kostyshyna et Corinne Luu, Note analytique du personnel 2019-6 : The Size and Characteristics of Informal ("Gig") Work in Canada [en anglais seulement], février 2019, pages 2 et 3. Cette statistique exclut les individus qui ont participé à l'économie à la demande en vendant des biens plutôt que des services.
[4] STTP, Les livreuses et livreurs de Foodora souhaitent adhérer au STTP, 7 mai 2019.
[5] Justice for Foodora Couriers, « Foodster demands » [en anglais seulement]. Consulté le 26 août 2019.
[6] STTP, FOODSTERS UNITED, c'est nous! Et nous disons OUI!, 3 août 2019.
[7] Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, chap. 1, annexe A, art. 8.
[8] STTP, Sprint final pour l'accréditation syndicale des livreurs et livreuses de Foodora, 7 août 2019.
[9] CBC News, Foodora union voting ends but battle to unionize far from resolved [en anglais seulement], 13 août 2019.
[10] STTP, Déclaration du STTP : vote sur la syndicalisation des livreurs et livreuses de Foodora, 13 août 2019.