Au cours des dernières années, plusieurs décisions arbitrales ont traité des distinctions entre les mesures disciplinaires et administratives. Dans une décision récente[1], la Cour d'appel du Québec confirme une décision expliquant que la différence entre les deux réside parfois dans l'intention de l'employeur d'imposer des mesures disciplinaires et pas seulement dans la volonté délibérée de l'inconduite ou d'autres éléments.
Contexte
Les plaignantes, des enseignantes, sont convoquées par la directrice d'école à un évènement social de fin d'année scolaire. Afin de manifester leur mécontentement envers la direction de l'école, les plaignantes décident de ne pas se présenter à l'évènement social.
L'employeur décide d'intervenir afin d'adresser la situation. Toutefois, soucieux de mettre un terme aux relations de travail tendues ou du moins de ne pas les envenimer, il décide de ne pas imposer de mesures disciplinaires. L'employeur privilégie plutôt des rencontres avec les plaignantes au cours desquelles il leur remet une lettre définissant ses attentes, notamment une meilleure collaboration de leur part avec la direction. Dans cette lettre, l'employeur souligne qu'il considère que les plaignantes ont fait preuve d'insubordination.
Le syndicat dépose un grief dans lequel il prétend que les lettres transmises aux plaignantes sont une forme de mesures disciplinaires et doivent donc être rétractées. En effet, le syndicat affirmait qu'en présence d'une inconduite jugée volontaire et fautive par l'employeur, ce dernier doit respecter la procédure disciplinaire prévue à la convention collective. Il ajoute qu'en choisissant d'intervenir de manière administrative, l'employeur a agi de manière abusive puisqu'il a privé les plaignantes des protections prévues à la convention collective en cas d'imposition de mesures disciplinaires.
Qu'a-t-on décidé ?[2][3]
L'arbitre déclare que les gestes des plaignantes peuvent effectivement être tenus pour fautifs et peuvent être sanctionnés. Toutefois, l'arbitre a décidé que ces lettres ne constituaient pas des mesures disciplinaires, car elles ne contenaient pas de langage disciplinaire.
Au contraire, la preuve démontre que l'employeur a délibérément décidé d'éviter la discipline pour apaiser les relations de travail difficiles. De plus, l'employeur souligne que les lettres remises aux plaignantes n'ont pas été versées dans leur dossier disciplinaire et que le syndicat n'en a pas reçu copie. Qui plus est, ces lettres n'ont pas été accompagnées de mesures accessoires préjudiciables pour les plaignantes.
L'arbitre conclut que l'employeur jouissait d'un droit de gestion lui permettant d'utiliser des mesures administratives, telles que des lettres, pour répondre aux problèmes dans le milieu de travail. Lorsque l'employeur a choisi de renoncer à discipliner les plaignantes et de faire appel à un mode alternatif pour faire passer son message, il a évité d'être soumis aux règles de procédure prévues à la convention collective en matière disciplinaire. Bref, l'intention de l'employeur de ne pas discipliner, mais de plutôt signifier ses attentes auprès des plaignantes constitue l'élément déterminant dans l'analyse faite par l'arbitre.
Puisque l'employeur a agi en vertu de son droit de gestion et a imposé une mesure administrative, l'arbitre reconnaît qu'il ne peut intervenir que s'il y a preuve d'une conduite abusive, déraisonnable et arbitraire de la part de l'employeur. Tel n'est pas le cas en l'espèce. L'arbitre rejette donc le grief.
Le syndicat demande à la cour de revoir la décision. La cour rejette cette prétention. Elle affirme que rien dans la convention collective n'empêche l'employeur de prendre une approche administrative plutôt que disciplinaire. Le syndicat interjette appel[4]. La Cour d'appel rejette l'appel et confirme les conclusions du tribunal inférieur.
Leçons à retenir pour l'employeur
L'impact de cette décision n'est pas négligeable sur la gestion quotidienne des employés. Effectivement, elle confirme le courant jurisprudentiel selon lequel, à moins d'une disposition à l'effet contraire dans une convention collective, le droit de gestion d'un employeur lui permet d'adresser une faute commise par un salarié par d'autres moyens que la discipline. Dans certains cas, cela peut enlever certaines protections ou règles qui s'appliqueraient à la discipline. Cela peut également restreindre le pouvoir d'intervention de l'arbitre puisque les décisions administratives ne sont pas révisées de la même façon que la discipline
Cependant, les mesures administratives ne sont pas parfaites. Si un employeur décide d'adresser les problèmes liés aux salariés en appliquant une mesure administrative, il ne pourra pas évoquer une telle mesure dans la gradation des sanctions. Par contre, l'employeur pourra démontrer que le salarié avait connaissance de ses attentes à son égard.
[1] Syndicat de l'enseignement des Deux-Rives c. Commission scolaire des Navigateurs, 2019 QCCA 1800.
[2] Syndicat de l'enseignement des Deux-Rives et Commission scolaire des Navigateurs*, 2017 QCTA 65.
[3] Syndicat de l'enseignement des Deux Rives c. Morency*, 2017 QCCS 5313.
[4] Syndicat de l'enseignement des Deux-Rives c. Commission scolaire des Navigateurs, 2019 QCCA 1800.