Depuis le vendredi 13 mars 2020, le Ministère de la Justice et les tribunaux du Québec ont annoncé plusieurs mesures réagissant à la pandémie COVID-19 et à la déclaration d’état d’urgence sanitaire du Gouvernement du Québec.
La Cour supérieure du Québec et la Cour du Québec ont notamment annoncé la suspension de la majorité de leurs activités tandis qu’un arrêté de la Juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice prévoit la suspension des délais en raison d’un état d’urgence.
Le présent bulletin résume les principales mesures adoptées quant à l’administration de la justice devant les tribunaux judiciaires ainsi que ses conséquences sur les litiges civils et commerciaux. La situation continue d’évoluer et des changements et mises-à-jour sont possibles.
La suspension des audiences devant la Cour supérieure et la Cour du Québec
La Cour supérieure du Québec et la Cour du Québec sont les deux tribunaux judiciaires de première instance de la province. À la suite de l’annonce du 13 mars 2020 (lien disponible ici), la majorité de leurs activités sont suspendues.
Cela implique d’abord que les procès prévus au cours des prochains jours n’auront pas lieu et devront être remis. Par cette mesure exceptionnelle engendrée par des circonstances qui le sont tout autant, les tribunaux québécois ne tiendront donc pas d’audiences sur le fond quant aux litiges civils, commerciaux et administratifs dont ils sont saisis.
De plus, les tribunaux et les juges sont normalement sollicités pendant le déroulement des litiges pour trancher des incidents et des questions interlocutoires. Par exemple, ils peuvent être appelés à décider de certains droits procéduraux des parties (interrogatoires, objections, expertises, etc.). À la lumière des communiqués émis par la Cour supérieure et la Cour du Québec, il semble que ces services soient également suspendus.
Selon les dernières informations disponibles, les activités de la Cour d’appel du Québec se poursuivent sauf pour les conférences de règlement à l’amiable.
Les exceptions
La fermeture complète des tribunaux est difficile à concevoir parce que certains services sont absolument essentiels. En matière criminelle, plusieurs dispositions et protections constitutionnelles imposent le maintien de certains services. De plus, les tribunaux devront continuer de fournir des services quant aux demandes urgentes dites de soins, de demandes pour examen psychiatrique, et de demandes pour autoriser la garde en établissement. Les tribunaux continueront également de traiter les demandes relatives à l’habeas corpus.
Pour l’instant, certaines exceptions sont également maintenues pour les litiges civils et commerciaux quant à des questions urgentes. Les tribunaux continueront donc d’entendre (i) les demandes d’injonction provisoire et d’ordonnances de sauvegarde, (ii) les demandes de saisies avant jugement, (iii) les demandes d’avis d’expulsion, et (iv) les ordonnances de mainlevée de saisie, annulation de saisie avant jugement ou contestation d’expulsion.
Les demandes d’injonction provisoire et d’ordonnances de sauvegarde visent l’émission d’ordonnances judiciaires obligeant une partie à poser un acte ou, à l’inverse, à s’abstenir de le poser. Ces ordonnances sont émises pendant l’instance et de façon temporaire. Elles visent à éviter qu’un préjudice sérieux et irréparable soit subi par une partie pendant le déroulement des procédures. Pour obtenir l’émission de ces ordonnances, il est nécessaire de démontrer l’urgence de la situation et, donc, la nécessité d’une intervention immédiate de la Cour sur la base d’un dossier incomplet. Dans cette perspective, le traitement des demandes d’injonction provisoire et d’ordonnance de sauvegarde figure sans doute parmi les services les plus essentiels pouvant être offerts par les tribunaux dans les dossiers civils et commerciaux.
Les saisies avant jugement, quant à elles, visent à mettre des biens sous la main de la justice pendant l’instance. Par exemple, un créancier peut faire saisir avant jugement le bien meuble qu’il est en droit de revendiquer, un bien meuble sur lequel il dispose d’un droit de collocation et qui est utilisé de manière à mettre en péril la réalisation de sa créance prioritaire, ou un bien meuble qu’une disposition légale lui permet de faire saisir pour assurer l’exercice de ses droits sur celui-ci. Un demandeur peut également, avec l’autorisation du tribunal, procéder à la saisie avant jugement des biens d’un défendeur s’il est à craindre que le recouvrement de sa créance sera mis en péril sans cette mesure. Les saisies avant jugement ont pour objectif d’empêcher qu’au terme d’une instance, l’exécution d’un jugement final ne devienne illusoire. Elles sont donc de nature à préserver la saine administration de la justice et ce, de manière urgente.
En matière immobilière, une partie peut, dans certaines circonstances, requérir l’émission d’une ordonnance d’expulsion. Cela se produit notamment en matière de baux commerciaux, lorsqu’un locataire néglige ou refuse de délaisser les locaux en cas de non-paiement de loyer. Des ordonnances d’expulsion peuvent également être délivrées lorsqu’un immeuble est vendu sous contrôle de justice.
Les saisies avant jugement et les ordonnances d’expulsion peuvent affecter le droit fondamental, à la jouissance paisible et à la libre disposition des biens prévu à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne. Les tribunaux continueront donc de trancher les demandes visant à ordonner la mainlevée ou l’annulation d’une saisie, ainsi que celles visant à contester des ordonnances d’expulsion
Outre les exceptions spécifiquement énumérées, la Cour maintient la discrétion de se saisir de situations qu’elle juge urgentes.
Par ailleurs, dans certains dossiers et au cas par cas, il est possible que des mesures puissent faire l’objet de conférence téléphoniques plutôt que d’une audience sur place. Par exemple, la chambre commerciale de la Cour supérieure a annoncé que seuls les cas urgents seraient traités et qu’ils le seraient par conférence téléphonique.
La suspension des délais
L’article 27 du Code de procédure civile prévoit ceci :
« Le juge en chef du Québec et le ministre de la Justice peuvent, de concert, lorsqu’un état d’urgence est déclaré par le gouvernement ou qu’une situation rend impossible, en fait, le respect des règles du Code ou l’utilisation d’un moyen de communication, suspendre ou prolonger pour la période qu’ils indiquent l’application d’un délai de prescription ou de procédure ou autoriser l’utilisation d’un autre moyen de communication selon les modalités qu’ils fixent.
Leur décision prend effet immédiatement; elle est publiée sans délai à la Gazette officielle du Québec. »
Le dimanche 15 mars 2020, la ministre de la Justice et la juge en chef du Québec ont émis l’Arrêté 2020-4521 (lien disponible ici) prévoyant la suspension de tous les délais de prescription, tous les délais de déchéance en matière civile et tous les délais de procédure civile jusqu’à l’expiration de la période de déclaration d’état d’urgence sanitaire prévue par le gouvernement du Québec. Cet arrêté est pour une durée de dix jours. Considérant les circonstances actuelles, il est à prévoir que cet arrêté ministériel sera renouvelé.
Cet arrêté prévoit donc la suspension des délais procéduraux, comme celui pour mettre en état un dossier déjà constitué devant les tribunaux ou pour déposer une procédure civile en particulier. Il prévoit aussi la suspension des délais prévus par la loi pour faire valoir un droit en entreprenant une poursuite civile, comme les délais de prescription ou de déchéance.
Les audiences tenues à huis clos
Sauf exceptions, la justice est normalement accessible au public. Or, compte tenu de la situation d’urgence sanitaire en vigueur, la Ministre de la Justice a annoncé que les audiences devant être tenues le seraient à huis clos. Seules les personnes dont la présence est jugée nécessaire par le décideur sera permise.
Cette mesure s’applique à la Cour d’appel du Québec, à la Cour supérieure, à la Cour du Québec, aux cours municipales et aux tribunaux administratifs du Québec.
La poursuite des dossiers
Une portion significative de la progression d’un dossier se fait par les parties et sans intervention active des tribunaux. À condition de respecter les recommandations et exigences des autorités, les parties pourront continuer de se transmettre les procédures appropriées, de s’échanger des documents et de travailler à la préparation de leur cause.
Certaines étapes d’un dossier impliquent normalement des rencontres physiques entre les parties et leurs avocats, même si ces rencontres ne se tiennent pas devant le tribunal. C’est par exemple le cas des interrogatoires préalables. Ces étapes devront sans doute faire l’objet de remises ou d’adaptation visant à respecter les recommandations de santé publique du gouvernement.
Les mesures prises par les tribunaux administratifs
Outre les tribunaux judiciaires, les tribunaux administratifs sont également appelés à administrer la justice au Québec. Plusieurs annonces ont déjà été faites et sont à prévoir quant aux mesures que ces tribunaux administratifs adopteront quant à pandémie COVID-19.
Conclusion
Pour l’instant, la durée de la suspension est inconnue, tout comme les ajustements qui devront ensuite être faits quant à la gestion des dossiers et aux dates d’audiences et de procès. Des conséquences importantes sont à prévoir. Elles font partie des sacrifices nécessaires que l’ensemble de la société est appelée à faire.
Dans ces circonstances, il semble tout à fait approprié pour toute partie impliquée dans une instance judiciaire de se remémorer les principes directeurs de la procédure, dont notamment de faire preuve de proportionnalité et la bonne foi et surtout, de coopérer en vue de favoriser un débat loyal.