Alors qu'un nombre important d'entreprises se voient dans l'obligation de fermer leur commerce en raison des mesures préconisées par les autorités gouvernementales dans le but de freiner la propagation de la pandémie du virus COVID-19 (la « Pandémie »), d'autres entreprises considèrent qu'il s'agit de la solution la plus appropriée dans les circonstances compte tenu de la baisse substantielle de leur chiffre d'affaires qui en résulte.
Puis, le 23 mars 2020, ce choix de continuer ou non les opérations est devenu tout à fait académique pour un nombre significatif d'entreprises, puisque le gouvernement québécois a ordonné la fermeture des commerces et des services non essentiels par décret ministériel (le « Décret»)[1]. Ainsi, un nombre important d'entreprises affectées ont été forcées de cesser leurs opérations et, conséquemment, les revenus anticipés leur permettant de payer leur loyer ne sont plus au rendez-vous.
Dès lors, plusieurs questions surgissent en ce qui concerne les droits et obligations des locataires et locateurs face à cette situation sans précédent. Plusieurs entreprises ne pouvant plus exploiter leurs commerces s'interrogent notamment sur leur obligation de verser leur loyer aux locateurs dans ces circonstances. La première étape pour les locataires et locateurs sera nécessairement de réviser les termes et conditions prévus à leur bail. Dans bien des cas, les locataires et les locateurs chercheront un terrain d'entente afin de préserver leurs relations d'affaires par des concessions mutuelles. En effet, dans l'éventualité où le locataire a toujours honoré les conditions de son bail avant la survenance de la Pandémie, le locateur aurait certainement un intérêt à prendre une approche flexible dans la mesure du possible, surtout dans le contexte actuel où il est vraisemblablement difficile, du moins à court terme, de trouver un nouveau locataire. Toutefois, il peut arriver qu'une entente ne puisse survenir entre les parties.
Dans le cadre de cet article, nous allons traiter de l'état du droit concernant l'obligation de versement de loyer dans le contexte d'une situation de force majeure et de Pandémie.
La force majeure en droit civil québécois
En droit civil québécois, le concept de la force majeure est défini par l'article 1470 du Code civil du Québec[2] (ci-après, « C.c.Q. ») comme « un événement imprévisible et irrésistible » et « y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères ». Il faut alors entendre par la force majeure un événement que le débiteur ne pouvait prévoir, auquel il ne pouvait résister et qui a rendu impossible l'exécution de son obligation[3].
Par contre, il est important de préciser que la notion de « force majeure » n'est pas d'ordre public. Les parties à un bail commercial demeurent donc toujours libres d'en restreindre la portée et de modifier ou même de renoncer purement et simplement à son application et à ses effets[4].
L'imprévisibilité de l'événement est analysée à la lumière d'une personne raisonnablement diligente, prudente et prévoyante[5] et doit être appréciée au moment où l'obligation a été contractée par le débiteur par opposition au moment de la survenance de l'événement[6]. Autrement dit, il faudra se placer dans les chaussures du débiteur au moment de la signature du bail afin de déterminer si cet événement était raisonnablement prévisible.
Quant à l'exigence d'irrésistibilité, l'événement doit être à la fois insurmontable quant à ses effets et inévitable quant à sa survenance[7]. Plus particulièrement, le caractère irrésistible de la force majeure exige que l'événement empêche l'exécution absolue de l'obligation pour quiconque, l'impossibilité ne pouvant pas être simplement personnelle au débiteur[8]. Le fait que l'obligation soit difficile ou trop onéreuse ne répond pas à ce critère[9].
Si nous appliquons ces critères à la présente Pandémie dans un contexte de bail commercial, il va de soi que la Pandémie était fort probablement imprévisible au moment de la conclusion du bail. Par contre, la satisfaction du critère d'irrésistibilité semble plutôt douteuse, car le locataire demeure physiquement capable de payer son loyer dans les délais prévus au bail. En d'autres termes, le locataire est toujours en mesure, physiquement, d'écrire un chèque de loyer.
De plus, dans le contexte d'un bail commercial, la majorité des articles du C.c.Q. portant sur le contrat de louage ne sont pas d'ordre public et les parties sont donc libres d'y déroger. Ainsi, afin de déterminer si une pandémie se qualifie de situation de force majeure, une analyse au cas par cas doit être effectuée notamment à la lumière de la loi, du contrat entre les parties et de la nature de leurs activités. Cette qualification dans un contexte de bail commercial sera détaillée plus amplement ci-dessous.
Incidences de la force majeure sur les obligations du bail
Pour les locataires qui subissent une baisse de leur chiffre d'affaires de sorte qu'ils ne peuvent plus payer leur loyer
Un locataire pourrait être tenté de demander une réduction de loyer en raison d'une perte d'achalandage provoquée par la Pandémie et du Décret qui en résulte. Celui-ci pourrait penser à invoquer que la perte d'achalandage est une conséquence directe de la Pandémie, qui elle serait une force majeure permettant de justifier le non-paiement ou la réduction de loyer.
Vu la définition de force majeure prévue au C.c.Q., et telle que nous la retrouvons dans plusieurs baux commerciaux, il serait surprenant qu'une perte d'achalandage puisse, en soi, constituer une force majeure permettant au locataire de cesser temporairement d'accomplir son obligation la plus primordiale dans le contexte d'un bail, soit le paiement du loyer, le tout sous réserve d'une disposition contractuelle expresse à l'effet contraire. La perte d'achalandage est certes une bien triste réalité pour plusieurs entreprises dans le contexte actuel, mais la réduction de la clientèle dans des établissements commerciaux en raison de la Pandémie ne constitue pas un événement qui empêcherait un locataire de ne plus être physiquement capable de payer son loyer dans les délais de paiement prévus au bail. En d'autres termes, le locataire est toujours en mesure d'émettre un chèque de loyer.
Qui plus est, les demandes en réduction de loyer ont, généralement, été intentées dans le cadre de l'inexécution d'une ou des obligations du locateur plutôt qu'en s'appuyant uniquement sur un argument de force majeure ou de réduction d'achalandage[10]. En effet, pour qu'un tel recours soit couronné de succès, le locataire doit prouver que le locateur a fait défaut de respecter une ou plusieurs de ses obligations, telles que de lui fournir une jouissance paisible des lieux loués, de ne pas changer la forme ou la destination du bien loué ou de lui fournir une garantie contre les troubles de droit apportés à la jouissance du bien loué[11]. L'octroi d'une réduction de loyer est donc subordonné à la démonstration par le locataire, selon la prépondérance de la preuve[12], d'une diminution des prestations du locateur[13].
Certes, la perte d'achalandage subie par les locataires peut constituer, dans certaines circonstances, un défaut de la part du locateur de se conformer à son obligation de procurer la pleine jouissance des lieux loués[14]. Or, les autorités doctrinales sont d'avis que la responsabilité du locateur pour perte d'achalandage ne peut être engagée que si elle lui est attribuable[15]. En outre, il appert de la jurisprudence que le locateur peut être tenu responsable envers ses locataires pour les déficits d'opérations qui résultent des changements qu'il effectue à l'immeuble commercial[16], des décisions qu'il prend concernant l'administration de celui-ci et de la conduite de l'un ou l'autre de ses locataires[17]. En l'espèce, alors qu'aucun reproche ne peut être formulé à l'encontre du locateur en vertu du bail ou de la loi, le blâme est attribuable non pas aux agissements du locateur, mais aux répercussions désastreuses de la Pandémie.
Il a déjà été établi dans une décision de la Cour du Québec[18] que la capacité financière du locataire ne pouvait justifier un recours en diminution de loyer en l'absence d'une faute du locateur. De ce fait, le locateur n'a pas, en théorie, à assumer la situation financière précaire de son locataire[19], bien que les principes de la bonne foi et l'obligation de mitiger ses dommages aient déjà été interprétés, par la Cour d'appel du Québec, comme imposant un certain devoir d'écoute attentive du locateur face à un locataire en difficulté financière[20].
Il s'avère donc que les entreprises pourront difficilement invoquer à l'encontre de leur locateur des difficultés financières pour justifier le non-paiement du loyer.
Pour les locataires qui sont obligés de fermer leur commerce
D'abord, il importe de mettre en lumière l'obligation fondamentale du locateur de fournir la jouissance paisible des lieux loués qui tient de l'essence même du contrat de louage[21]. Cette obligation est prévue à l'article 1854 alinéa 1 du C.c.Q. qui impose au locateur de procurer à son locataire cette jouissance paisible des lieux pendant toute la durée du bail[22] et il est établi qu'une telle obligation en est une de résultat[23].
Ainsi, les seuls moyens de défense que le locateur peut invoquer pour s'en soustraire sont de prouver que la perte de jouissance subie par son locataire résulte d'une force majeure ou du fait d'un tiers[24], ou que le locataire avait valablement renoncé à ce droit. Cependant, il est important de souligner qu'une renonciation entière à la jouissance paisible ne saurait être acceptable, celle-ci devant comporter un minimum de valeur dans le contrat de bail. En d'autres termes, bien que l'on puisse déroger à l'obligation de fournir une parfaite jouissance paisible au locataire, on ne peut écarter en totalité cette obligation du locateur. En cas de défaut de respecter cette obligation, le locateur pourrait être tenu responsable.
En jurisprudence, l'obligation du locateur de fournir au locataire la jouissance paisible des lieux loués dans une situation assimilable à un événement de force majeure s'est traduite de la manière illustrée ci-après. Dans l'affaire Lareau c. Régie du logement[25], il était question d'un recours en diminution de loyer entrepris par des locataires qui ont été privés de la jouissance de leur logement en raison d'une panne d'électricité causée par la crise du verglas de 1998. La Cour supérieure du Québec a reconnu que cet événement était assimilable à un cas de force majeure, ce qui, par conséquent, dégageait les locateurs de leur défaut de fournir aux locataires la jouissance paisible des lieux loués. Dès lors, conformément à la règle prévue à l'article 1694 alinéa 1 C.c.Q.[26], le locateur ne pouvait exiger l'exécution de l'obligation corrélative du locataire, soit le paiement du loyer[27]. De ce fait, bien que les locateurs ne fussent aucunement responsables de la panne d'électricité, la Régie du logement était à bon droit d'accueillir la demande en réduction de loyer des locataires. Certes, cette décision s'inscrit dans le contexte d'un bail résidentiel, mais elle demeure tout de même pertinente en matière de louage commercial dans le cas des baux qui ne contiennent pas de clause interdisant d'invoquer la force majeure pour éviter le paiement d'une somme due. En outre, l'article 1854 alinéa 1 C.c.Q., qui est au cœur des motifs de la décision, se trouve dans les dispositions générales de la section portant sur les droits et obligations résultant du bail et est donc applicable pour tout type de contrat de louage.
Le principe de droit qu'il faut tirer de la décision précitée est que, confrontés à une requête pour diminution de loyer, les tribunaux auront tendance à y faire droit que s'ils concluent que le locateur n'a pas été en mesure d'assurer la pleine jouissance des lieux loués au locataire (sous réserve d'une dérogation contractuelle à ce droit), et ce, nonobstant le contrôle du locateur sur l'événement qui l'a empêché d'exécuter son obligation. En outre, ce sera sous l'angle de la libération de l'inexécution du locateur qu'ils pourront tenter de justifier le fait que le locataire n'est pas tenu d'exécuter la contrepartie de son obligation, soit le paiement du loyer.
Il est possible que les tribunaux qui devront faire face à des demandes pour loyer impayé appliquent le même raisonnement et ainsi concluent que les locateurs louant des espaces commerciaux à des entreprises qui n'ont plus accès à ces locaux ne pourront exiger de leurs locataires la portion du loyer pour la période durant laquelle ceux-ci n'ont pas bénéficié de la jouissance paisible des lieux loués.
Or, bien que cette issue semble désavantageuse pour les locateurs, il importe de souligner que la Cour supérieure du Québec, toujours dans la même cause, a soulevé que les tribunaux devaient prendre en considération, dans le calcul du moment de la réduction de loyer, le fait que les lieux loués sont demeurés à la disposition des locataires et qu'ils ont continué d'avoir accès aux biens s'y trouvant [28].
Ceci serait également conforme à l'intention du législateur qui a prévu, à l'article 1694 du C.c.Q., qu'en cas de force majeure le débiteur libéré de son obligation ne peut pas exiger l'exécution de l'obligation corrélative de son créancier. Si le locateur a exécuté son obligation en partie, par exemple, en permettant au locataire d'entreposer ses biens dans les lieux loués, il pourrait exiger que son locataire exécute partiellement la sienne jusqu'à concurrence de son enrichissement, soit un paiement partiel du loyer.
Dans le cas où le locataire a toujours pleinement accès aux lieux loués, on peut penser que le locateur pourrait tenter d'invoquer qu'il n'a pas privé le locataire de la jouissance des lieux. Le locataire est uniquement privé de l'opération commerciale sur les lieux loués, et ce, en raison du Décret. Ainsi, qu'en est-il alors de la situation du locataire qui, en raison du Décret, ne peut plus opérer son commerce malgré que son locateur lui fournisse toujours l'accès complet aux lieux et aux aménagements afférents, tel que l'électricité et le chauffage ?
Un tel locataire pourrait être tenté d'invoquer que le locateur a failli à son obligation de garantie contre les troubles de droit apportés à la jouissance paisible des lieux loués, une telle obligation étant prévue à l'article 1858 du C.c.Q.[29] Ce locataire devra cependant réussir à convaincre le tribunal que le Décret représente un trouble de droit, ce qui est une qualification qui n'a pas encore été analysée par les tribunaux. Il convient de souligner que l'obligation du locateur quant aux troubles de droit en est une de garantie, qui, comparativement à une obligation de résultat, ne donne pas ouverture pour le locateur à une défense de force majeure. Si un tel argument est plaidé et accueilli par les tribunaux, le locataire pourrait donc, en théorie, mais sous réserve d'une disposition à l'effet contraire dans le bail, être dispensé de payer le loyer puisque le locateur ferait défaut de respecter son obligation de garantie contre les troubles de droit.
L'exemple le plus classique d'une application de la garantie contre les troubles de droit du locateur est celui où un locateur avait, avant la signature du bail, négligé d'informer son locataire de l'existence d'un règlement de zonage interdisant l'opération d'un restaurant dans l'immeuble où se situaient les lieux loués, alors que le bail avait pour objet l'opération d'un restaurant[30]. Dans sa décision, le tribunal avait conclu que, vu l'absence dans le bail d'une dérogation expresse à l'article 1858 C.c.Q., le locateur ne pouvait imputer au locataire la responsabilité de s'assurer que l'usage prévu des lieux loués était conforme au règlement de zonage applicable. Il faut cependant noter qu'il existe une certaine différence entre, dans un premier cas, l'entrée en vigueur après la signature d'un bail du Décret interdisant temporairement à certaines catégories d'entreprises d'opérer dans la totalité d'une province afin de préserver la santé et sécurité de la population, et, dans un deuxième cas, un règlement de zonage existant bien avant la signature d'un bail interdisant, de manière permanente, un usage spécifique dans des lieux loués spécifiques, et ce, peu importe l'entreprise désirant avoir la jouissance de ces lieux loués. Il faudra donc faire preuve de prudence et d'une bonne analyse des termes et conditions de chaque bail avant de pouvoir invoquer avec certitude la garantie contre les troubles de droit.
Lorsqu'une clause de force majeure est incluse dans le bail commercial
Étant donné que la notion de force majeure prévue à l'article 1470 du C.c.Q. n'est pas d'ordre public, les parties à un bail commercial sont libres, par l'entremise de dispositions contractuelles, d'y déroger et de stipuler leur propre définition des événements qui sont assimilables à une force majeure. Elles peuvent également établir les répercussions d'une défense de force majeure sur leurs obligations respectives.
En sus du fait qu'il sera souvent difficile pour un locataire d'invoquer qu'une force majeure l'empêche de payer son loyer, il importe de vérifier si une disposition contractuelle portant sur la force majeure est prévue au bail afin de clarifier l'intention des parties à cet égard. En outre, face à une situation donnée, les tribunaux appliqueront la clause de force majeure ou toute autre disposition contractuelle prévue au bail commercial pouvant s'appliquer dans les circonstances du dossier[31]. Chaque clause de force majeure ayant sa propre particularité, il n'est pas possible d'inférer une généralité sur les conclusions que les juges peuvent émettre à ce sujet[32].
La décision Pierre Village inc. c. Construction 649 inc.[33] illustre l'application d'une disposition contractuelle de bail commercial dans le cadre d'une situation factuelle de force majeure. Dans cette affaire, le local commercial a subi des dommages considérables forçant l'évacuation du locataire à la suite de la tempête de verglas qui a sévi au Québec en 1998. Le locataire invoque que le locateur n'a pas respecté ses obligations en n'ayant pas pris les moyens nécessaires pour éviter les troubles et dommages prévisibles suite à la tempête de verglas. Ainsi, le locataire réclame des dommages-intérêts pour le défaut du locateur de fournir la jouissance paisible des lieux loués et demande l'autorisation de ne pas payer les loyers dus. Le bail contenait une clause de renonciation expresse du locataire à toute remise ou réduction du loyer payable ou au paiement par le locateur de dommages-intérêts en raison d'une tempête ou de suintement d'eau, de neige ou de glace sur le toit. La Cour supérieure du Québec rejette la demande de dommages-intérêts tout en indiquant que, dans les circonstances, le locateur a effectué les réparations requises avec diligence et qu'une exécution tardive ne peut lui être reprochée. Par conséquent, la Cour est d'avis que le locateur n'a pas manqué à ses obligations, notamment celle d'assurer à ses locataires la jouissance paisible des lieux loués. Quant à la réclamation pour les loyers impayés, une disposition du bail commercial prévoyait que le locataire a seulement le droit de suspendre le paiement du loyer si l'utilisation des locaux devient impossible, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Dès lors, le locataire se devait d'effectuer les paiements de loyer.
Enfin, il importe également de souligner qu'en matière de baux commerciaux et de force majeure, nous constatons que la jurisprudence illustre davantage des cas où ce sont les dommages physiques causés aux lieux loués qui ont justifié une réduction ou un arrêt de paiement de loyer alors qu'en l'espèce, la Pandémie ne cause aucun dommage matériel aux lieux loués.
Conclusion
Nous anticipons que plusieurs locataires et locateurs tenteront d'amender leurs baux commerciaux par l'entremise de concessions mutuelles afin de préserver une saine relation contractuelle pour le restant de la durée du bail et afin de pallier à l'impact économique du Décret découlant de la Pandémie. À défaut d'entente, le locataire pourrait tenter de faire valoir ses droits en invoquant la force majeure et le fait qu'il s'est vu privé de la pleine jouissance des lieux.
Puisque la notion de force majeure prévue à l'article 1470 C.c.Q. n'est pas d'ordre public, le locataire aura définitivement intérêt à examiner si son bail commercial comporte une clause à cet effet. De façon générale, les baux commerciaux rédigés sur le modèle de bail des locateurs favorisent davantage ces derniers et vont fréquemment prévoir que le loyer doit demeurer payable nonobstant une situation de force majeure, ce qui a pour conséquence de clarifier l'intention des parties à cet effet. Dans tous les cas, il faut se rappeler qu'à moins d'une mention expresse à cet effet dans le bail ou d'une faute du locateur, une perte d'achalandage ou de rentabilité constituerait difficilement un motif justifiant en soi l'inexécution du paiement de loyer.
Finalement, il importe de souligner qu'avant de statuer sur l'impossibilité des parties d'exécuter leurs obligations contractuelles respectives, la détermination de l'obligation du locataire de continuer à payer l'intégralité du loyer malgré les répercussions de la Pandémie demeure assujettie à un examen rigoureux des termes et conditions de chaque bail et à une analyse factuelle au cas par cas, car les tribunaux favorisent une analyse de l'ensemble des clauses du bail et évitent de s'arrêter sur le libellé d'une seule clause lorsqu'ils procèdent à la recherche de la commune intention des parties. Nous recommandons donc d'éviter le réflexe de se fier uniquement sur l'existence d'une clause de force majeure afin de déterminer l'impact de la Pandémie sur l'obligation de paiement de loyer.
Nous désirons également remercier la contribution d'Elizabeth Gagné-Larose et Kabrina Peron à titre de recherchistes et collaboratrices.
[1] Décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020.
[2] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1470.
[3] Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 844.
[4] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018, par. 2733; Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 844 et Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3229.
[5] Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 845.
[6] Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3249.
[7] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018, par. 2734.
[8] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018, par. 2734 et Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 846.
[9] Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 846 et Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3254.
[10] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1863 et Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 10 et 11.
[11] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1854, 1856, 1858 et 1863 et Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 10 et 11.
[12] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 2803 et 2804.
[13] Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 11.
[14] Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 1.
[15] Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 1, 6, 7 et 13.
[16] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1856.
[17] Johanne GAGNON, Le bail commercial, Collection Blais, vol. 9, 2011, p. 6 et 7.
[18] Loiselle c. Mooijekind, 2013 QCCQ 3786, par. 36.
[19] Stanislas BRICKA, Commentaires sur le Code civil du Québec (art. 1863 C.c.Q), Éditions Yvon Blais, 2015, par. 654.
[20] Investissements Eres ltée c. Louha, 2014 QCCS 5820, par. 55 et 56; Louha c. Investissements Eres ltée, 2016 QCCA 1041, par. 23 à 33.
[21] Pierre-Gabriel JOBIN, Le louage, Collection traité de droit civil, 2e éd., Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996, par. 169.
[22] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1854 al. 1.
[23] Les Immeubles Gabriel Azzouz inc. c. Salon d'optique Fernand Ghobril inc., 2008 QCCA 135, par. 5. Note : Il est possible que le locataire renonce contractuellement à une certaine jouissance des lieux loués dans des cas spécifiques, par exemple, en permettant au locateur de faire des travaux de réparation. La privation de la jouissance des lieux par le locateur doit néanmoins être temporaire.
[24] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1693 al. 1.
[25] Lareau c. Régie du logement, SOQUIJ AZ-99021429, JE (appel rejeté).
[26] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1694.
[27] Vincent KARIM, Les obligations (art. 1693 C.c.Q), 4e éd., vol. 2, Montréal, Wilson & Lafleur, par. 3454. Voir également : 9074-9508 Québec inc. c. Société de gestion Place Laurier inc., 2007 QCCS 3299 (appel rejeté), par. 114.
[28] La décision Appartements Analena enr. c. Bakka, 2006 QCCA 111, est un exemple d'une situation de trouble de fait. Dans ce dossier, le bail a été résilié puisqu'après avoir été conclu, l'exploitation du restaurant qui était envisagé a été prohibée par un règlement municipal. Le bail ne contenait pas de clause dérogeant à l'article 1858 du C.c.Q.
[29] Code civil du Québec, L.Q., 1991 ch. 64, art. 1858.
[30] Appartements Analena enr. c. Bakka, 2006 QCCA 111.
[31] Pierre Village Inc. c. Construction 649 Inc., SOQUIJ AZ-99021448, par. 24.
[32] Voir : 9111-8299 Québec Inc. c. 9034-1405 Québec Inc., 2016 QCCS 4888; 9193383 Canada Inc. c. Société du Vieux-Port de Montréal Inc., 2020 QCCS 370 et Pierre Village Inc. c. Construction 649 Inc., SOQUIJ AZ-99021448. Dans ces décisions, la demande est accueillie ou rejetée en fonction des dispositions prévues au bail commercial.
[33] Pierre Village Inc. c. Construction 649 Inc., SOQUIJ AZ-99021448.