Dans un jugement rendu le 5 mai 2020 dans l'affaire Gaudette c. Whirlpool Canada[1], la juge Suzanne Courchesne de la Cour supérieure a autorisé une action collective à l'encontre de Whirlpool Canada LP, Whirlpool Corporation et Sears Canada Holdings Corp. (les « Défenderesses ») au nom de tous les résidents du Québec ayant été propriétaire de certains modèles de laveuses frontales de marque Whirlpool, Kenmore et Maytag fabriqués avant le 31 décembre 2018 (les « Laveuses ») au motif qu'elles auraient prétendument été affectées d'un vice de conception les empêchant de se nettoyer correctement et de prévenir l'accumulation de moisissures, de bactéries, et de mauvaises odeurs (le « Vice Allégué »).
L'action collective proposée du Demandeur était fondée sur les garanties légales de qualité prévues par le Code civil du Québec[2] (le « C.c.Q. ») et la Loi sur la protection du consommateur[3] (la « LPC »), le devoir de renseignement découlant des obligations de bonne foi prévues aux articles 6 et 1375 C.c.Q. et en vertu de l'article 52(1) de la Loi sur la concurrence[4].
Ce jugement s'inscrit dans un contexte procédural particulier. Une première demande d'autorisation concernant le Vice Allégué avait été déposée en 2009 (le « Dossier Lambert »), mais avait été rejetée au motif que la cause d'action personnelle du demandeur était prescrite[5]. Le demandeur avait porté ce jugement en appel jusqu'à la Cour suprême, laquelle avait refusé d'entendre le pourvoi[6]. Presque huit ans plus tard, en 2017, une nouvelle demande d'autorisation d'instituer une action collective concernant le même Vice Allégué a été déposée par Sylvain Gaudette (le « Demandeur »). Les Défenderesses ont tenté en vain de faire rejeter cette demande sur la base de l'autorité de la chose jugée (res judicata) et pour abus de procédure. La Cour d'appel avait rejeté l'appel des Défenderesses à l'égard de ce jugement[7] et la Cour suprême avait refusé d'entendre leur pourvoi[8].
Contexte
Le 13 avril 2008, le Demandeur a fait l'achat d'une laveuse frontale de marque Whirlpool.
Quelques mois après l'installation de la laveuse, le Demandeur et son épouse auraient remarqué la présence de taches de moisissures sur le joint en plastique de la porte. De plus, ils auraient remarqué des accumulations d'eau qui devaient régulièrement être retirées du tambour et une odeur nauséabonde émanant de la laveuse. En conséquence, ils auraient été forcés de se débarrasser de certains de leurs vêtements.
En raison de ces problèmes, ils auraient relu le manuel d'instructions et visité le site web des Défenderesses et auraient appris pour la première fois à ce moment qu'ils devaient effectuer des cycles vides avec de l'eau de javel, utiliser des pastilles Affresh une fois par semaine et laisser la porte ouverte lorsque la laveuse n'était pas en fonction. Ces pratiques n'auraient pas permis de régler le problème.
En 2015, le Demandeur aurait réalisé, suite à des recherches en ligne, que les problèmes qu'il vivait avec sa laveuse étaient liés à des vices de conception affectant les Laveuses des Défenderesses.
Lorsqu'il a appris que la demande d'autorisation dans le Dossier Lambert avait été rejetée, le Demandeur aurait exprimé son souhait de déposer une nouvelle demande et d'agir à titre de représentant.
Le Demandeur n'a jamais cessé d'utiliser sa laveuse et n'a jamais transmis d'avis écrit aux Défenderesses pour dénoncer l'existence du Vice Allégué avant l'introduction de sa demande d'autorisation d'intenter une action collective en juin 2016.
Faits saillants de la décision
La gravité du Vice Allégué
Les Défenderesses ont plaidé que le fait que le Demandeur avait utilisé sa laveuse pendant huit ans sans réparation ou plainte démontrait que le produit n'était affecté d'aucun vice caché et d'aucun déficit d'usage.
Le tribunal a cité le raisonnement de la Cour d'appel dans l'affaire Fortin c. Mazda Canada inc.[9] et les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ABB inc. c. Domtar [10] pour rejeter cet argument en énonçant que l'élément-clé dans la détermination de l'existence d'un vice caché est le déficit d'usage, lequel doit être évalué à la lumière des attentes légitimes de l'acheteur. Les attentes légitimes de l'acheteur s'apprécient en fonction de divers facteurs, dont la nature du produit, sa destination, l'état de la technique, les informations données par le fabricant et le distributeur et les stipulations du contrat. Il n'est pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible.
Or, le tribunal considère que les allégations du Demandeur quant aux problèmes vécus avec sa laveuse et les dommages qu'il aurait subis étaient suffisantes pour démontrer, prima facie, une cause défendable au stade de l'autorisation. Par ailleurs, le tribunal note que le recours du Demandeur est en partie fondé sur l'article 272 de la LPC qui prévoit une présomption absolue de préjudice lorsqu'une violation d'une obligation imposée par la LPC est démontrée.
L'absence d'avis écrit quant au Vice Allégué
Les Défenderesses ont invoqué que le Demandeur ne leur avait jamais transmis d'avis écrit quant à l'existence du Vice Allégué, conformément à l'article 1739 C.c.Q., avant l'introduction de la demande d'autorisation et que, ce faisant, elles auraient été privés de la possibilité d'inspecter la laveuse.
Le tribunal, citant les arrêts de la Cour d'appel dans l'affaire Claude Joyal inc. v. CNH Canada Ltd.[11] et l'affaire Nadeau c. Mercedez-Benz Canada Inc.[12], énonce que le défaut de l'acheteur d'avoir transmis un avis écrit doit avoir causé un réel préjudice au vendeur afin de pouvoir justifier le rejet du recours, notamment lorsque le bien était toujours disponible pour une inspection après l'introduction de l'action. En l'espèce, la laveuse du Demandeur n'a jamais été réparée et pouvait être inspectée.
Par ailleurs, le tribunal souligne qu'il n'a pas été établi que l'exigence d'un avis écrit au vendeur prévue par l'article 1739 C.c.Q. s'applique également aux réclamations du Demandeur fondées sur la LPC, laquelle ne contient aucune disposition prévoyant la nécessité d'un tel avis.
L'article 52(1) de la Loi sur la concurrence
Dans sa demande d'autorisation, le Demandeur invoquait que les Défenderesses auraient violé l'article 52(1) de la Loi sur la concurrence en omettant de divulguer aux consommateurs l'existence du Vice Allégué :
52 (1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l'utilisation d'un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.
Pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans un jugement rendu par la Cour supérieure de justice de l'Ontario[13] et confirmés par la Cour d'appel de l'Ontario[14] dans le cadre d'un recours similaire visant les Laveuses des Défenderesses, le tribunal a statué que la demande d'autorisation et les pièces déposées à son soutien ne révélaient pas l'existence d'une cause d'action défendable en vertu de l'article 52(1) de la Loi sur la concurrence. Dans ce jugement, il est énoncé qu'en principe, le silence d'un vendeur ne sera pas considéré comme une indication fausse ou trompeuse au sens de cet article, à moins qu'il n'existe un devoir fiduciaire ou une obligation légale de divulguer un fait[15]. Considérant que le Vice Allégué n'a pas pour effet de rendre les Laveuses dangereuses, les Défenderesses n'avaient pas un devoir de dénigrer leurs propres produits et de divulguer le Vice Allégué[16].
La prescription
Le Dossier Lambert a été institué le 20 décembre 2009 et définitivement rejeté le 29 octobre 2015. Les Défenderesses ont plaidé que le Dossier Lambert n'avait suspendu la prescription qu'à l'égard des réclamations survenues le ou après le 20 décembre 2006 et que toutes les réclamations liées aux Laveuses fabriquées entre 2001 et 2005 étaient donc déjà prescrites. Elles ont aussi invoqué que les réclamations liées aux modèles fabriqués en 2006 étaient également prescrites considérant le délai intervenu entre la fin du Dossier Lambert et l'institution de la demande d'autorisation du Demandeur.
Le tribunal a rejeté ces arguments considérant que la prescription ne commence à courir qu'à compter du moment où le préjudice se manifeste de façon importante. Considérant que la documentation au dossier démontrait que les premiers signes du Vice Allégué pouvaient se manifester entre trente jours et deux ou trois ans après l'utilisation initiale, le tribunal a conclu qu'il était impossible de déterminer, du moins au stade de l'autorisation, que la prescription avait commencé à courir à compter de la date d'achat, de l'année de fabrication du modèle ou de tout autre point de départ spécifique.
En conséquence, le tribunal a reporté le débat entourant les enjeux de prescription au stade du mérite.
Conclusion
Ce jugement fait état d'enjeux clés en matière de responsabilité du fabricant susceptibles d'être soulevés dans le contexte d'actions collectives fondées sur les garanties légales de qualité incombant aux vendeurs professionnels et commerçants en vertu du C.c.Q. et de la LPC.
Notamment, la question soulevée par le tribunal quant à la nécessité pour un consommateur de transmettre un avis écrit au commerçant est d'un intérêt particulier et pourrait s'avérer pertinente dans le contexte d'une réclamation où le vendeur pourrait avoir subi un réel préjudice du fait d'avoir été privé de la possibilité d'inspecter le bien avant qu'il soit réparé, jeté ou détruit.
Il y a lieu de mentionner que le délai pour demander la permission d'appeler de ce jugement n'a pas encore expiré.
[1] Gaudette c. Whirlpool Canada, 2020 QCCS 1423.
[2] RLRQ, c. CCQ-1991.
[3] RLRQ, c. P-40.1
[4] L.R.C. (1985), ch. C-34.
[5] Lambert c. Whirlpool, 2013 QCCS 5688.
[6] Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., 2015 QCCA 433; Lambert c. Whirlpool Canada LP, et al., 2015 CanLII 69429 (CSC).
[7] Whirlpool Canada c. Gaudette, 2018 QCCA 1206.
[8] Whirlpool Canada LP, et al. c. Gaudette, 2019 CanLII 73200 (CSC).
[9] 2016 QCCA 31.
[10] ABB inc. v. Domtar inc., 2007 CSC 50.
[11] 2014 QCCA 588, para. 35 et 36.
[12] Nadeau v. Mercedez-Benz Canada Inc., 2017 QCCA 460.
[13] Arora c. Whirlpool Canada LP, 2012 ONSC 4642, para. 184-201.
[14] Arora c. Whirlpool Canada LP, 2013 ONCA 657, para. 43-51.
[15] Arora c. Whirlpool Canada LP, 2012 ONSC 4642, para. 195.
[16] Id., para. 197.