Il y a quelques mois, mon collègue Jay Kerr-Wilson a publié un billet de blogue (disponible uniquement en anglais) sur les questions de propriété intellectuelle entourant le phénomène des vidéos « Let’s Play ». Il s’agit de vidéos en ligne dans lesquelles un particulier s’enregistre en train de jouer à un jeu vidéo et diffuse cet enregistrement. Le particulier en question peut se filmer ou encore se contenter de faire des commentaires audio. Dans les deux cas, son propre contenu est ajouté à celui du jeu auquel il est en train de jouer. Le billet de blogue aborde la question de savoir si ce type de vidéos pourrait être considéré comme entraînant une violation du droit d’auteur quant au jeu vidéo utilisé. Il aborde également les raisons pour lesquelles, en général, il n’y a pas de litiges pour violation du droit d’auteur dans ce domaine, à cause de la relation symbiotique entre les créateurs de contenu et les diffuseurs de jeux vidéo.
Étant moi-même un consommateur passionné de contenu YouTube et Twitch, j’aime visionner divers types de vidéos, y compris les vidéos Let’s Play. De fait, je me consacre de manière constante à la découverte d’un type de vidéos en particulier : les vidéos « de réaction ». Dans la partie I du présent billet de blogue, je vais décrire ce que l’on désigne par « vidéos de réaction », expliquer pourquoi elles sont pertinentes en regard des violations du droit d’auteur et décrire comment une exception en vertu de la Loi sur le droit d’auteur pourrait s’y appliquer. Dans la partie II, j’explorerai plus en détail cette exception, comparerai le droit canadien et le droit américain au niveau de ce domaine et soulignerai enfin les contrastes entre les deux.
Qu’entend-on par « vidéos de réaction »?
Les vidéos de réaction se fondent sur une prémisse simple : de manière similaire aux vidéos Let’s Play, les vidéos de réaction mettent en vedette le créateur du contenu réagissant à une autre vidéo ou la commentant de son propre point de vue. Parfois, il ne s’agit que de divertir aux dépens de ladite autre vidéo. Il est intéressant de constater que la vidéo à laquelle le créateur du contenu réagit a, dans la plupart des cas, été créée par un autre créateur de contenu.
Il existe des différences entre les vidéos Let’s Play et les vidéos de réaction. À titre d’exemple, les vidéos Let’s Play présentent souvent une partie complète de jeu, tandis que dans les vidéos de réaction, le créateur de contenu reproduit simplement des extraits de la vidéo à laquelle il réagit. Cela dit, ce n’est parfois pas le cas pour les instavidéastes Twitch qui font la diffusion continue et en direct de leurs réactions à des vidéos, étant donné que ces vidéos diffusées continuellement et en direct ne peuvent être modifiées d’avance, comme peuvent l’être les vidéos YouTube. En conséquence, à moins qu’un instavidéaste Twitch mette une vidéo sur pause et en saute des parties, il est probable qu’il reproduira la vidéo en majorité ou en entier lorsqu’il diffuse en continu.
Tout comme dans le cas des vidéos Let’s Play, les vidéos de réaction risquent d’être des copies de représentations publiques qui contreviennent au droit d’auteur d’autrui. Dans un tel cas, l’« œuvre » originale n’est pas un jeu vidéo, mais bien une vidéo. Cependant, tout comme la représentation d’un jeu vidéo est essentielle à une vidéo Let’s Play, la reproduction de la vidéo originale est essentielle à une vidéo de réaction, étant donné que l’auditoire doit pouvoir comprendre exactement ce qui cause la réaction du créateur de contenu.
Il existe toutefois une différence substantielle entre les vidéos Let’s Play et les vidéos de réaction : dans le cas de ces dernières, l’œuvre originale est souvent créée par une entité de taille beaucoup plus petite (puisque les créateurs de contenu dominants ne sont, pour la plupart, pas de grandes sociétés). Cela pourrait expliquer pourquoi, au Canada, il ne semble pas y avoir encore eu de réclamation devant les tribunaux pour violation du droit d’auteur en ce qui concerne les vidéos de réaction. En effet, les créateurs de contenu de taille modeste pourraient ne pas avoir les ressources nécessaires pour présenter une telle réclamation. D’autres facteurs entrent en ligne de compte : YouTube et Twitch fournissent leurs propres outils permettant aux particuliers de déposer des réclamations liées au droit d’auteur (lesdits outils ayant fait l’objet d’examens approfondis à cause de leur application douteuse de la loi), ce qui explique que de telles réclamations pourraient ne pas s’être rendues devant les tribunaux. On peut également prétendre qu’une vidéo de réaction qui est visionnée par un grand nombre de personnes entraînera inévitablement une augmentation de l’auditoire de la vidéo originale, ce qui accroîtra les recettes en étant tirées. Toutefois, si la vidéo de réaction discrédite la vidéo originale, cet auditoire pourrait s’en désintéresser et les recettes tirées pourraient se voir diminuées.
L’exception de l’utilisation équitable aux fins de critique ou de compte rendu
Comme Jay le souligne dans son billet de blogue d’origine, la loi canadienne sur le droit d’auteur[1] contient des exceptions prévoyant que l’utilisation des œuvres protégées par droit d’auteur à certaines fins ne constitue pas une violation. Ces exceptions sont appelées « utilisations équitables ». L’une d’entre elles est l’« exception du contenu généré par l’utilisateur » que prévoit l’article 29.21 de la Loi sur le droit d’auteur. En vertu de cette disposition, ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre déjà publiée pour en créer une autre et d’autoriser un intermédiaire (p. ex. YouTube ou Twitch) à diffuser cette dernière, si la personne le fait à des fins « non commerciales ». En réalité, pratiquement tous les créateurs de contenu qui connaissent du succès tirent profit de leurs vidéos, y compris de leurs vidéos de réaction. Ne vous méprenez pas : les vidéos de réaction et la diffusion en continu de réaction sont devenues si populaires qu’elles peuvent être vues à des centaines de milliers, voire des millions, de fois.
Cela dit, il existe une autre exception possible pouvant faire en sorte que les vidéos de réaction ne puissent être visées par une réclamation pour violation du droit d’auteur aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur prévoit que certains types de reproduction d’œuvres sont des utilisations équitables. Ainsi, l’article 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que la reproduction aux fins de « critique » ou de « compte rendu » ne constitue pas une violation au droit d’auteur si elle mentionne la source et le nom de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du diffuseur (selon la nature de l’œuvre). L’exigence de citer la source de l’œuvre originale ne semble pas être un obstacle qui empêcherait les vidéos de réaction d’être visées par cette exception, puisque le créateur du contenu fournit souvent cette information afin d’aider son auditoire à mieux comprendre sa réaction.
Bien que les vidéos de réaction n’aient toujours pas subi l’examen des tribunaux canadiens, il paraît adéquat de les placer dans les catégories d’exception « critique » ou « compte-rendu ». Aucune des autres exceptions liées à l’utilisation équitable ne semble saisir avec précision l’esprit d’une vidéo de réaction. Ces exceptions comprennent la recherche, l’étude privée, l’éducation, la parodie, la satire ou la communication de nouvelles. Certains types de vidéos de réaction peuvent contenir des éléments liés à ces exceptions. Toutefois, la nature de ces vidéos en tant que réactions semble plus compatible avec la critique ou le compte rendu. En outre, les vidéos de réaction sont pratiquement toujours, de par leur nature, des critiques. Souvent, le créateur de contenu y évalue la vidéo et réagit à sa qualité.
Dans la partie II, nous nous pencherons sur l’utilisation équitable en droit canadien et la comparerons avec la notion de l’usage loyal (fair use) en droit américain. Nous discuterons également d’un dossier américain de violation du droit d’auteur qui est pertinent, car il vise une vidéo de réaction et certains youtubeurs célèbres sur Internet.
[TRADUCTION] « Le critique rend de grands services au public lorsqu’il déprécie, par ses écrits, les publications insipides ou inutiles qui n’auraient jamais dû paraître. Il contrôle la diffusion du mauvais goût et empêche les gens de gaspiller leur temps et leur argent avec des ordures. »
— Lord Ellenborough dans Carr c. Hood (1808), 1 Camp. 355 (Cour du Banc du Roi, Angleterre), p. 358
Les remarques de Lord Ellenborough sont certes quelque peu sévères. Il n’en demeure pas moins que la critique, en soi, est un élément indispensable pour la société. Quelques siècles plus tard, il est désormais possible pour n’importe qui d’être un critique influent, et ce, dans le confort de sa propre maison et la reproduction que nécessite la critique est peut-être importante pour faciliter le dialogue et la discussion sur ce qui rend une œuvre divertissante, comique, émouvante ou autre. Cette reproduction est sans doute même inéluctable si l’on considère l’évolution de la technologie et des attitudes sociétales à l’égard de la consommation des médias et du droit d’auteur.
Bien sûr, il est toujours important de veiller à ce que des protections soient mises en place au profit des titulaires de droit d’auteur, surtout si l’on considère que les petits créateurs de contenu, réalisant des vidéos, n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour s’engager dans des batailles juridiques coûteuses dans le but de protéger leurs propres droits. Ce sont les raisons pour lesquelles les tribunaux ont une aversion pour la reproduction complète d’une œuvre, mais sont en revanche plus réceptifs lorsque la reproduction ne vise que des parties de l’œuvre. Des enjeux comme ceux-ci, liés au droit d’auteur, comportent souvent des droits et intérêts contraires les uns aux autres. Il sera donc intéressant de suivre comment cette question évoluera au fil du temps.
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Merci pour votre intérêt!
[1] L.R.C. (1985), ch. C-42.