Dans la partie I de ce billet de blogue, j’ai expliqué ce qu’est une vidéo de réaction, comment celle-ci peut constituer une violation du droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, ainsi que la manière dont l’exception juridique possible pour les « critiques » ou les « comptes rendus » peut s’appliquer à une vidéo de réaction. Dans cette partie II du billet de blogue, j’analyse cette exception sous l’angle juridique canadien et américain.
Perspectives canadiennes et américaines à l’égard de la critique et de l’usage loyal/utilisation équitable
La position selon laquelle une vidéo de réaction constituerait une « critique » ou un « compte rendu » au sens de la loi américaine sur le droit d’auteur est étayée par le fait qu’une vidéo de réaction a déjà fait l’objet d’un procès très médiatisé devant un tribunal américain qui l’a reconnue comme étant une critique. En fait, le tribunal a reconnu qu’une vidéo de réaction relevait de l’exception de l’« usage loyal », qui est similaire (mais non parallèle) à l’exception des États-Unis en matière de violation du droit d’auteur. Dans l’affaire Hosseinzadeh c. Klein[1], une décision de 2017 de la Cour de district du sud de New York, le demandeur, le YouTubeur Matt Hosseinzadeh (MattHossZone), a poursuivi Ethan et Hila Klein (h3h3Productions) pour avoir créé une vidéo de réaction sur l’un de ses courts métrages humoristiques amateurs. Dans la vidéo, les Klein se sont enregistrés en train de critiquer et de ridiculiser fortement l’histoire et les dialogues du court métrage. Hosseinzadeh a répondu en affirmant que l’utilisation par les Klein de sa vidéo dans leur vidéo — les Klein avaient extrait trois minutes et 15 secondes de la vidéo de Hosseinzadeh, qui durait cinq minutes et 24 secondes — constituait une violation du droit d’auteur.
Dans sa décision, la Cour a appliqué en quatre étapes l’analyse de l’usage loyal à la vidéo de Klein. En résumé :
- en ce qui concerne le premier facteur, examinant le but et le caractère de l’œuvre, la Cour a donné raison aux défendeurs, en reconnaissant que leur vidéo était « la quintessence de la critique et du compte rendu » (par opposition à une reproduction directe);
- en ce qui concerne le deuxième facteur, examinant la nature de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, la Cour a donné raison au demandeur, en reconnaissant que sa vidéo était « entièrement scénarisée et fictive » et donc protégée contre la violation du droit d’auteur en vertu du droit américain (c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une œuvre digne de protection);
- en ce qui concerne le troisième facteur, évaluant la quantité et la durabilité de la partie de l’œuvre originale utilisée, la Cour a estimé que cela avait un impact neutre, déterminant que « pour faire un compte rendu d’une œuvre et la critiquer, des extraits de l’originale peuvent être utilisés », mais simultanément qu’« une grande partie » de la vidéo originale a été copiée;
- en ce qui concerne le quatrième facteur, évaluant l’effet de l’utilisation de l’œuvre reproduite sur le marché potentiel, la Cour a donné raison aux défendeurs, car la reproduction n’a pas « servi de substitut du marché » puisqu’elle a répondu à la vidéo originale et l’a transformée « d’un sketch en commentaires et moqueries caustiques au fil des minutes »[2].
La communauté juridique et la communauté de la création de contenu ont considéré Hosseinzadeh comme une grande victoire pour l’usage loyal aux États-Unis. En revanche, son existence n’empêcherait pas forcément le créateur de contenu d’une vidéo reproduite dans une vidéo de réaction de déposer une demande de réclamation concernant les droits d’auteur contre cette vidéo de réaction, et ce, par le biais d’une procédure interne de YouTube ou Twitch. En clair, les vidéos de réaction ne sont pas à l’abri de se faire retirer d’une plateforme.
Pour comparer l’approche américaine avec une approche canadienne potentielle, bien que la jurisprudence américaine n’a pas force obligatoire en droit canadien, si cette question est soulevée dans un contexte canadien, Hosseinzadeh pourrait être un élément à prendre en considération. Cependant, l’application de l’usage loyal en vertu du droit américain comporte des facteurs qui diffèrent de l’application de l’utilisation équitable en vertu du droit canadien. Par exemple, dans une analyse de l’usage loyal, les tribunaux américains cherchent à savoir si une reproduction est de nature « transformatrice », alors que les tribunaux canadiens n’ont pas encore reconnu une telle qualité dans l’analyse de l’utilisation équitable[3]. De plus, l’application de l’usage loyal n’est pas limitée à une liste exhaustive de buts, contrairement à l’utilisation équitable, comme décrit ci-dessus.
En outre, la Cour suprême du Canada a établi sa propre analyse de l’utilisation équitable en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, qui consiste en six facteurs :
- le but de l’utilisation;
- la nature de l’utilisation;
- l’ampleur de l’utilisation;
- l’existence de solutions de rechange à l’utilisation;
- la nature de l’œuvre;
- l’effet de l’utilisation sur l’œuvre[4].
Cela dit, il existe une jurisprudence considérable au sujet de l’utilisation équitable, laquelle a modifié au fil du temps l’analyse faite de ces facteurs par un tribunal. Par exemple, la Cour fédérale a affirmé que lorsque 100 % d’une œuvre est reproduite, l’utilisation ne peut être équitable[5]. Il reste donc à voir de quelle façon exactement se prononcerait un tribunal canadien à l’égard d’une vidéo de réaction donnée, car l’analyse dépendra également de la nature de la vidéo elle-même.
Conclusions
Bien que la proéminence des vidéos de réaction soit un phénomène relativement récent, nous pouvons peut-être nous inspirer d’un cas anglais du début du XIXe siècle pour mieux saisir leur valeur :
[TRADUCTION] « Le critique rend de grands services au public lorsqu’il déprécie, par ses écrits, les publications insipides ou inutiles qui n’auraient jamais dû paraître. Il contrôle la diffusion du mauvais goût et empêche les gens de gaspiller leur temps et leur argent avec des ordures. »
— Lord Ellenborough dans Carr c. Hood (1808), 1 Camp. 355 (Cour du Banc du Roi, Angleterre), p. 358
Les remarques de Lord Ellenborough sont certes quelque peu sévères. Il n’en demeure pas moins que la critique, en soi, est un élément indispensable pour la société. Quelques siècles plus tard, il est désormais possible pour n’importe qui d’être un critique influent, et ce, dans le confort de sa propre maison et la reproduction que nécessite la critique est peut-être importante pour faciliter le dialogue et la discussion sur ce qui rend une œuvre divertissante, comique, émouvante ou autre. Cette reproduction est sans doute même inéluctable si l’on considère l’évolution de la technologie et des attitudes sociétales à l’égard de la consommation des médias et du droit d’auteur.
Bien sûr, il est toujours important de veiller à ce que des protections soient mises en place au profit des titulaires de droit d’auteur, surtout si l’on considère que les petits créateurs de contenu, réalisant des vidéos, n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour s’engager dans des batailles juridiques coûteuses dans le but de protéger leurs propres droits. Ce sont les raisons pour lesquelles les tribunaux ont une aversion pour la reproduction complète d’une œuvre, mais sont en revanche plus réceptifs lorsque la reproduction ne vise que des parties de l’œuvre. Des enjeux comme ceux-ci, liés au droit d’auteur, comportent souvent des droits et intérêts contraires les uns aux autres. Il sera donc intéressant de suivre comment cette question évoluera au fil du temps.
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[1] 276 F. Supp. 3d 34 (S.D.N.Y. 2017), en anglais seulement
[2] Source : U.S. Copyright Fair Use Index : https://www.copyright.gov/fair-use/summaries/hosseinzadeh-klein-sdny2017.pdf (en anglais seulement)
[3] Century 21 Canada Ltd. Partnership v. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196, 338 D.L.R. 32, aux par. 226-234 (en anglais seulement).
[4] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339.
[5] Canadian Standards Association c. P.S. Knight Co. (2016), 2018 CAF 222, 300 ACWS (3d) 608 au par. 52.