Fasken a représenté plusieurs des intimées qui ont eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30. Dans son récent arrêt, la Cour suprême a rejeté de façon définitive les tentatives de la SOCAN d’obtenir une « double rémunération » (deux redevances) pour les titulaires de droits d’auteur lors de la mise à la disposition d’œuvres protégées par le droit d’auteur, contribuant ainsi à clarifier bon nombre de questions juridiques importantes. Certaines de ces questions sont propres au droit d’auteur, tandis que d’autres ont une portée plus large, notamment en ce qui concerne la détermination de la norme de contrôle à la suite de l’arrêt Vavilov ainsi que le rôle des traités dans l’interprétation des lois.
Contexte
En 2012, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée afin d’ajouter un nouvel article précisant la « mise à la disposition de l’œuvre » afin que les utilisateurs puissent y avoir accès, au moment et à l’endroit de leur choix, constituait une violation du droit d’auteur. À la suite de cette modification, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN ») a soutenu qu’il existait alors un nouveau droit en matière de droit d’auteur, et donc, que de nouvelles redevances devraient être payées chaque fois qu’une œuvre était « mise à la disposition » en ligne. L’argument de la SOCAN avait deux effets pratiques : 1) le téléchargement d’un fichier contenant de la musique (par exemple, un jeu vidéo) déclencherait dorénavant le paiement de deux redevances (l’une payée à la SOCAN et l’autre payée au titulaire des droits de reproduction); et 2) la diffusion en continu en ligne nécessiterait deux paiements de redevances distinctes (toutes deux payées à la SOCAN).
La Commission du droit d’auteur a donné raison à la SOCAN, en grande partie en raison de son interprétation de certains traités internationaux sur le droit d’auteur. La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de la Commission du droit d’auteur, mais a refusé d’interpréter la portée exacte de ce que « mise à la disposition » pourrait vouloir dire. La Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel fédérale, mais elle est allée plus loin en fournissant une orientation définitive sur cette question.
Éléments clés de la décision
Il s’agit d’une importante décision non seulement en matière de droit d’auteur, mais également en ce qui concerne l’interprétation législative et la détermination de la norme de contrôle. La Cour a conclu que :
- Le paragraphe 2.4(1.1) de la Loi ne crée pas de droit à une redevance additionnelle pour des activités qui, auparavant, ne donnaient droit qu’à un seul paiement de redevance.
- Le fait de rendre une œuvre disponible pour la diffusion en continu sur demande fait intervenir le droit de communiquer l’œuvre au public par télécommunication, qui est une forme d’exécution publique.
- Le droit d’exécution entre en jeu une fois que l’œuvre est mise à la disposition du public (c.-à-d. lorsqu’elle est disponible sur un serveur mis à la disposition des membres du public), que l’œuvre soit diffusée en continu ou non.
- Le titulaire du droit d’auteur n’a pas droit à un paiement lorsque l’œuvre est mise à la disposition du public et à un autre paiement lorsqu’elle est diffusée en continu. Les deux activités font partie de la même exécution publique, laquelle se produit lorsque l’œuvre est mise à la disposition du public.
- La SOCAN n’a pas droit aux redevances pour l’exécution publique lorsqu’une œuvre est téléchargée ou mise à la disposition du public à des fins de téléchargement. Le fait de rendre une œuvre disponible pour le téléchargement est plutôt protégé par une combinaison du droit de reproduction et du droit d’en autoriser la reproduction.
- En fait, la Cour a confirmé sa décision rendue en 2012 dans Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (« ESA c. SOCAN »), dans laquelle elle a établi une distinction entre la diffusion en continu à titre d’exécution publique et le téléchargement à titre de reproduction. Il importe de noter que si l’arrêt ESA c. SOCAN a été rendu dans une décision partagée de cinq voix contre quatre, la plus récente décision de la Cour est unanime sur ce point.
La Cour s’est également prononcée sur deux questions ne relevant pas du droit d’auteur et présentant un intérêt plus général pour les avocats et les entreprises en activité au Canada. Premièrement, la Cour a réaffirmé les restrictions traditionnelles sur la façon dont les traités peuvent être utilisés pour interpréter les lois nationales. La Cour a souligné que le point de départ de l’analyse législative doit toujours être le libellé de la loi adoptée par le Parlement, et non le libellé des traités convenu par l’organe exécutif. La Cour a reproché à la Commission du droit d’auteur d’avoir laissé son interprétation du Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur l’emporter sur le libellé réellement utilisé par le Parlement. Cet aspect de la décision risque de freiner les arguments de portée trop large fondés sur les traités à l’avenir.
Deuxièmement, la Cour a reconnu une nouvelle catégorie de norme de la décision correcte dans le cadre de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65. Il s’agit de la première catégorie de ce type à être reconnue depuis que la Cour suprême a rendu cet arrêt de principe en matière de droit administratif en 2019. Dans la présente affaire, la Cour a jugé que puisque les tribunaux de première instance ainsi que la Commission du droit d’auteur doivent interpréter et appliquer les mêmes articles de la Loi sur le droit d’auteur, il n’y avait pas lieu de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, étant donné que l’intention du législateur et la primauté du droit exigeaient l’application de la norme de la décision correcte. Cet aspect de la décision a permis de déterminer la norme de contrôle applicable pour tous les tribunaux fédéraux spécialisés dans les questions de propriété intellectuelle, ainsi que pour tous les autres tribunaux partageant leur compétence avec les tribunaux de première instance. Le processus utilisé par la Cour suprême pour reconnaître l’exception est également susceptible d’influencer la manière dont les tribunaux inférieurs réagiront à l’avenir à des propositions d’exceptions similaires.
Conclusion
En bref, la décision permet une interprétation cohérente de la Loi sur le droit d’auteur qui est conforme aux réalités de la distribution de contenu en ligne, que ce soit par le biais de la diffusion en continu ou du téléchargement. Par conséquent, si le contenu est diffusé en continu, aucune redevance supplémentaire ne doit être versée. La diffusion en continu fait partie d’un acte unique qui a commencé lorsque l’œuvre a été mise à la disposition du public en ligne.