Le 23 janvier 2023, la Cour supérieure du Québec a refusé d’autoriser l’exercice d’une action collective en matière de valeurs mobilières contre le producteur de cannabis HEXO Corp. et monsieur Sébastien St-Louis, le président-directeur général de cette société. [1]
Le demandeur, Martin Dionne, demandait l'autorisation d'exercer une action collective contre ces deux défendeurs pour des dommages-intérêts résultant d'informations fausses ou trompeuses et de manquement aux obligations d'information occasionnelles sur le marché primaire et sur le marché secondaire, le tout sous l'autorité de la Loi sur les valeurs mobilières [2] (« LVM ») et de l'article 1457 du Code Civil du Québec (« CCQ »).
L'article 225.4 de la LVM, à l'image des dispositions analogues des lois sur les valeurs mobilières des autres provinces, permet que soient exercées des actions collectives en dommages-intérêts sur le marché secondaire pour des informations fausses ou trompeuses, l'autorisation étant accordée si le tribunal estime que l'action est intentée de bonne foi et qu'il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause.
Alors que les règles usuelles du régime de responsabilité civile extracontractuelle du Québec imposent au demandeur de prouver l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de cause à effet entre la faute et le préjudice; la LVM facilite le recours de l’investisseur sur le marché secondaire en supprimant l'obligation de prouver un lien de causalité entre le fait qu'il se serait fié à une information fausse ou trompeuse et le préjudice qu'il aurait subi.
Le Tribunal a exprimé son accord avec l'argument avancé par les défendeurs, soit qu'il n'existait pas une possibilité raisonnable de succès en ce qui concernait l'action que voulait exercer Dionne concernant le marché secondaire et que celui-ci n’avait démontré qu'il avait une cause défendable pour l'action qu'il voulait exercer sur le marché primaire pour des informations fausses ou trompeuses selon les règles usuelles de responsabilité civile.
Étant donné que le critère que l'on utilise pour autoriser l'exercice d'une action en dommages-intérêts sur la base de la LVM est plus lourd que celui que l’on utilise selon les règles usuelles de responsabilité en matière d’action collective, la pratique des tribunaux est de débuter l’analyse avec la réclamation basée sur la LVM.
Le premier moyen du demandeur était basé sur l'accord d'approvisionnement entre HEXO et la Société québécoise du cannabis.
L'accord d'approvisionnement entre HEXO et la Société québécoise du cannabis
HEXO a conclu un accord d'approvisionnement d'une durée de cinq ans avec la Société québécoise du cannabis (« SQDC »), la société détenue par la province de Québec pour vendre le cannabis au détail. Aux termes de cet accord, HEXO s’engageait à fournir à la SQDC jusqu'à 20 000 kg de produits dans la première année suivant la légalisation, 35 000 kg dans la seconde année et 45 000 kg dans la troisième année. Le contrat comprenait une clause dite d'enlèvement ferme (« take or pay » en anglais). Dans le communiqué de presse annonçant cet accord, HEXO mentionnait que la SQDC avait le droit d'y mettre terme dans certaines circonstances. HEXO insérait aussi des mises en garde précisant que l'on ne pouvait interpréter l'accord comme une garantie que les volumes en cause seraient effectivement fournis par HEXO à la SQDC.
Le demandeur a prétendu qu’HEXO avait publié des informations fausses ou trompeuses en déclarant que l'accord « garantissait » les revenus reliés à la vente de 20 000 kg de cannabis..
Le Tribunal n’accepte pas la prétention de Dionne voulant qu’HEXO aurait trompé les investisseurs, soulignant que : « [notre traduction] le fait que la SQDC n'ait pas rempli ses engagements d'achat pour la première année ou que les défendeurs ne se soient pas prévalus de la clause d'enlèvement ferme ne constituent pas une preuve que leurs déclarations publiques n’étaient pas véridiques ou qu’elles étaient trompeuses au moment ou elles ont été faites. Comme on l'a déjà indiqué précédemment, le Tribunal ne procède pas à son évaluation avec le bénéfice du recul. » [3]
L'acquisition de Newstrike : les difficultés avec les organismes de réglementation
En 2019, HEXO fit l'acquisition de Newstrike, un autre producteur de cannabis, également une société cotée à la bourse. Cette acquisition a permis d'ajouter 470 000 pieds carrés de superficie de production. HEXO a annoncé que cette acquisition permettrait de faire augmenter la production et les revenus. Plus tard, il fut révélé qu’une section équivalant à 17 % de l'installation de Niagara, celle qui faisait l'objet de l'acquisition et qui correspondait à 4 % de la superficie de culture, ne faisait pas correctement partie du permis des autorités. Or, le demandeur n'allègue aucun fait ou ne fournit aucune preuve crédible tendant à démontrer que les défendeurs connaissaient l'existence de ce problème ou qu’ils auraient dû en connaître l'existence. Tout au contraire, la preuve de Dionne démontre que le problème est venu à la connaissance d’HEXO le jour même où HEXO en a fait la divulgation.
Le Tribunal souligne également que, au moment où ces déclarations ont été faites, HEXO avait suspendu ses opérations aux installations de Niagara à l'occasion d'une série de mesures de réduction des coûts, ce qui avait pour effet de rendre sans conséquence le problème des permis étant donné que [notre traduction] « le sens commun indique qu'une telle information ne pouvait être raisonnablement vue comme pouvant avoir un impact sur la décision d'un investisseur d'acheter ou de vendre une valeur mobilière d’HEXO, et encore moins un impact significatif ».[4]
HEXO n'a pas considéré que cet état de fait méritait d’être l'objet d'une divulgation et le Tribunal a accepté qu’en n’en parlant pas, HEXO ne s'était pas rendu coupable d'avoir omis de divulguer un fait important. Le Tribunal est également d'avis que ce faisant, HEXO ne s'était pas rendu coupable d'avoir omis de divulguer un changement important par rapport aux mêmes faits.
Les synergies avec Newstrike; les projections de revenus du 4e trimestre de 2019 et les prévisions pour 2020
Dionne a de plus allégué que les contributions positives (« accretive synergies ») dont HEXO faisait état et qu'elle chiffrait à hauteur de 10 millions de dollars constituaient des informations fausses ou trompeuses. Cependant, et tel que l'indique la juge Conte, Dionne n’allègue pas qu'il y a eu en l'espèce des informations fausses ou trompeuses à propos d'un fait important, semblant en effet se fier uniquement sur le fait que les contributions positives en question ne se soient pas réalisées pour conclure qu'il y avait des informations fausses ou trompeuses dans les déclarations d’HEXO. Et, comme le souligne la juge Conte, cela constitue un « raisonnement à rebours » tout comme pour les prévisions qui ne se sont pas réalisées.
Dionne a soutenu qu’HEXO aurait dû revoir à la baisse ses projections de revenus, mais comme le souligne la juge Conte : « [notre traduction] un changement dans les résultats financiers ne constitue pas, en soi, un changement dans les affaires, les opérations ou le capital d'un émetteur et partant il ne peut y avoir un manquement à l'obligation de divulgation occasionnelle ».[5]
Dionne a donc failli à remplir la condition voulant qu'il ait une possibilité raisonnable de gain de cause pour l'action en dommages-intérêts qu'il voulait exercer concernant le marché secondaire et il a aussi failli à remplir le critère moins exigeant de la cause défendable pour l'action en justice qu'il voulait intenter concernant le marché primaire.
Conclusion
Cette affaire illustre que le simple fait de ne pas atteindre les objectifs et les prévisions ne constitue pas en soi la preuve qu'une déclaration contient des informations fausses ou trompeuses sur un fait important au moment où elle a été faite.
Ce jugement constitue également un autre exemple d'un cas où la Cour supérieure refuse d'autoriser une action collective en matière de valeurs mobilières pour cause de preuve insuffisante.[6] Cela dit, avec le plus récent arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Nseir c. Barrick Gold Corporation [7] , lequel a renversé un jugement de la Cour supérieure et autorisé l'exercice d'une action collective en matière de valeurs mobilières contre Barrick Gold, et considérant aussi la tendance plus générale de la Cour d'appel de renverser les jugements de la Cour supérieure qui rejettent les demandes pour autorisation d’exercer une action collective, il sera intéressant de voir s'il y aura appel dans le dossier.
Dionne a 30 jours à compter de l’avis de jugement de première instance pour interjeter appel.
[1] Dionne c. Hexo Corp., 2023 QCCS 162
[2] RLRQ c V-1.1
[3] Paragraphe [100]. La version originale en anglais se lit ainsi :
“[t]he fact that the SQDC did not fulfill its first-year purchase commitment or that defendants decided not to enforce the take or pay features are not evidence that the public statement were untrue or misleading at the time they were made. As stated previously, the Court does not make assessments with the benefit of hindsight. ”
[4] Paragraphe [134]. La version originale en anglais se lit ainsi :
[134] Common sense dictates that such information could not reasonably be expected to have any impact on the investor decision to buy or sell HEXO securities let alone a significant one.
[5] Paragraphe [168]. La version originale en anglais se lit ainsi :
“a change in financial results is not, in itself, a change in the issuer’s business, operations or capital, there can be no breach of a timely disclosure. ”
[6] Levy v. Loop Industries Inc., jugement non répertorié, Numéro de cour: 700-06-000012-205, 19 juillet 2022; Graaf c. SNC-Lavalin Group Inc., 2022 QCCS 3727; Déclaration d’appel, 21 novembre 2022 (C.A.) 500‑09‑030289-227; Nseir c. Barrick Gold Corporation, 2020 QCCS 1697, renversé par la Cour d’appel, 2022 QCCA 1718.
[7] 2022 QCCA 1718