Sandoz Canada Inc. et plusieurs autres sociétés pharmaceutiques ont récemment fait échouer une demande d’autorisation et obtenu le rejet sommaire d’une action collective envisagée en responsabilité du fait de produits pharmaceutiques. Les sociétés ont fait valoir avec succès que les allégations du demandeur concernant le risque accru de développer un cancer devaient être rejetées sommairement parce qu’il n’y avait aucun fondement en preuve ou en droit à l’appui de telles allégations. Peter Pliszka, Andrew Borrell et Zohaib Maladwala de Fasken ont représenté Sandoz dans l’obtention de cette décision.
L’action collective proposée a été intentée contre de nombreuses sociétés pharmaceutiques qui fabriquent ou distribuent de la ranitidine, un récepteur H2 de l’histamine contenu dans les médicaments contre les brûlements d’estomac. Le demandeur alléguait que la ranitidine pouvait, au fil du temps et dans certaines conditions, se transformer en N-nitrosodiméthylamine (« NDMA »), une substance qui serait cancérigène selon le demandeur. L’avis de réclamation civile du demandeur comprenait des réclamations pour risque accru de préjudice et de préjudice éventuel futur.
Sandoz, avec d’autres défenderesses, a fait valoir que l’action du demandeur était entachée d’un vice de fait et de droit puisqu’il n’existe aucune preuve scientifique que la NDMA est cancérigène pour les humains, et que le demandeur réclamait des dommages-intérêts non pas pour un préjudice réel subi, mais plutôt pour un risque prétendument accru d’un éventuel préjudice futur.
Dans les motifs du jugement rendu dans cette affaire, Dussiaume v. Sandoz Canada Inc., 2023 BCSC 795, la juge Wilkinson s’est dite d’accord avec Sandoz et les autres défenderesses, a rejeté la requête en autorisation du demandeur et a accueilli la requête en jugement sommaire des défenderesses. La juge a estimé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation factuelle du demandeur selon laquelle la NDMA est cancérigène pour les humains. Ainsi, elle a conclu que, même si la ranitidine contenait de la NDMA, l’allégation selon laquelle elle entraînerait un risque de cancer n’était pas fondée. La juge a également appliqué la jurisprudence bien établie – dont l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19 – pour rejeter les diverses réclamations de dommages-intérêts du demandeur. Dans l’arrêt Babstock, la Cour suprême a confirmé que « [l]e droit d’être à l’abri de l’éventualité d’un préjudice n’existe pas; il existe seulement un droit de ne pas subir de préjudice [...][1]». Comme l’a fait remarquer la juge Wilkinson, cette [traduction] « limite importante » à l’égard des réclamations pour négligence a été appliquée partout au Canada, y compris dans le cadre d’actions collectives en responsabilité de produits pharmaceutiques[2].
En particulier, la juge Wilkinson s’est fondée sur Palmer v. Teva Canada Ltd., 2022 ONSC 4690, une décision récente du juge Perell dans laquelle Fasken représentait également Sandoz et dans laquelle la requête en autorisation d’une action collective envisagée a aussi été rejetée. S’appuyant sur les décisions Palmer et Babstock, la juge Wilkinson a estimé que les réclamations du demandeur étaient [traduction] « pareillement viciées » et que « [l]es préjudices futurs qui pourraient – ou pourraient ne pas – se produire ne sont pas indemnisables. La conduite du défendeur dans le cadre d’une action en négligence ne peut être considérée comme fautive que dans la mesure où elle cause un préjudice réel[3]».
L’incapacité fondamentale du demandeur à démontrer un préjudice indemnisable a également été fatale à sa réclamation des coûts de [traduction] « surveillance médicale », c’est-à-dire les coûts des procédures visant à détecter à un stade précoce tout effet néfaste sur la santé. La juge Wilkinson a cité une affaire dans laquelle il avait été jugé qu’un demandeur avait tenté de [traduction] « court-circuiter l’analyse de négligence en présumant que la conduite du défendeur avait causé un préjudice physique qui justifiait une telle surveillance[4]».
Le demandeur dans l’affaire Dussiaume a également allégué un préjudice psychologique, notamment causé par le fait d’avoir [traduction] « appris » les effets indésirables allégués de la ranitidine. Toutefois, la juge Wilkinson a estimé que ces réclamations étaient essentiellement dérivées des allégations vouées à l’échec du demandeur concernant le risque allégué de préjudice et le préjudice futur éventuel. [traduction] « Tout comme les demandes d’indemnisation pour des risques accrus de préjudices physiques ne sont pas indemnisables, les demandes d’indemnisation pour des inquiétudes concernant ces risques ne sont pas non plus indemnisables », a écrit la juge Wilkinson. Dans le même ordre d’idées, [traduction] « [i]l s’ensuit que si le risque d’un préjudice physique éventuel futur n’est pas indemnisable, il en va de même pour un préjudice qui en serait la conséquence […][5]». De plus, la juge Wilkinson a conclu que la demande d’indemnisation pour préjudice psychologique devait être rejetée parce que le préjudice ne se distinguait pas des [traduction] « désagréments, des sources d’anxiété et des craintes ordinaires avec lesquels toute personne vivant en société doit composer[6]» et qu’il n’était pas « raisonnablement prévisible », ce qui signifie qu’il n’existait « aucun fondement dans les faits importants ou les éléments de preuve pour soutenir » le préjudice psychologique en l’espèce[7].
La décision Dussiaume est une décision favorable pour les défendeurs actuels et éventuels dans les actions collectives en matière de responsabilité du fait des produits. Elle confirme que les tribunaux appliqueront des principes bien établis en matière de preuve et d’éléments requis pour justifier une cause d’action afin d’empêcher les avocats des demandeurs d’intenter des actions collectives fondées sur des conjectures de préjudices futurs possibles pour lesquels il n’y a aucun fondement factuel.
Néanmoins, d’après notre expérience, nous prévoyons que les avocats de demandeurs continueront de faire des tentatives créatives pour contourner ces principes établis afin de présenter des réclamations contre les fabricants et les distributeurs défendeurs. Si vous souhaitez discuter de questions, d’enjeux et de stratégies concernant la protection contre de telles réclamations, veuillez communiquer avec les auteurs.
[1] Par. 33.
[2] Dussiaume, par. 50.
[3] Par. 54.
[4] Par. 79-80, selon Dow Chemical Company v. Ring, Sr., 2010 NLCA 20.
[5] Par. 71-72.
[6] Par. 103.
[7] Par. 106.