On assiste actuellement à une multiplication rapide des outils auxquels les concepteurs et designers ont accès. Il est maintenant possible d’utiliser des modèles d’intelligence artificielle (IA) générative capables de produire efficacement tout type d’actif créatif d’entreprise, y compris des logos, des images de produits et des textes destinés au Web, et ce, à un rythme et à un volume jamais vus auparavant. L’utilité de ces outils pourrait cependant entraîner un coût, étant donné l’incertitude qui entoure la protection du droit d’auteur sur les œuvres générées par l’IA.
Ce que nous savons : le critère d’originalité au Canada
Le droit d’auteur protège les œuvres originales. Au Canada, l’originalité requiert l’exercice « du talent et du jugement » de l’auteur, ce qui va au-delà d’un exercice purement mécanique. La créativité en soi n’est pas une exigence, et l’interprétation de l’« originalité » par les tribunaux suggère qu’une œuvre ne peut être protégée par le droit d’auteur que si l’auteur est une personne physique, c’est-à-dire un être humain.
Par conséquent, un modèle d’IA ne pourrait être considéré comme un auteur aux fins de la protection du droit d’auteur. Or, si l’utilisateur de l’IA générative ne déploit pas un effort intellectuel suffisant au cours du processus de génération de l’IA, l’œuvre qui en résulte pourrait ne pas être protégée par le droit d’auteur.
Par ailleurs, la question de la protection du droit d'auteur sur les œuvres générées par l'IA n'a pas reçu de réponse définitive, que ce soit par voie législative ou devant les tribunaux. Cependant, le gouvernement canadien a récemment lancé des consultations publiques sur l’IA générative et ses répercussions pour les détenteurs de droits d’auteur (les Canadiens ont jusqu’au 4 décembre 2023 pour présenter leurs observations). Les consultations précédentes menées en 2021 n’ont abouti à aucune orientation ni position claire sur les œuvres générées par l’IA et sur la titularité des œuvres.
Combler les lacunes : observations fondées sur le droit d’auteur américain
Les évolutions récentes en droit d’auteur américain pourraient fournir certaines indications. Comme au Canada, la protection du droit d’auteur aux États-Unis s’applique aux œuvres originales. Le United States Copyright Office (USCO) a affirmé que seules les œuvres créées par un être humain bénéficieraient de la protection du droit d’auteur[1]. Plus récemment, dans la décision Thaler v Perlmutter, la Cour de district des États-Unis a affirmé que bien que la Loi sur le droit d’auteur soit prévue pour être suffisamment souple pour être adaptée aux progrès technologiques, les œuvres créées « sans intervention humaine aucune » [traduction] ne peuvent toutefois être protégées par le droit d’auteur[2].
Dans une ligne directrice récente, l’USCO a indiqué qu’il examinera si les contributions de l’IA à une œuvre sont le résultat d’une simple « reproduction mécanique » ou plutôt d’une « conception mentale originale de l’auteur, à laquelle [l’auteur] a donné une forme visible » [traduction][3]. Notamment, l’USCO examinera si un être humain a sélectionné ou remanié le matériel créé par l’IA d’une manière suffisamment créative pour que « l’œuvre qui en résulte constitue dans son ensemble une œuvre originale » [traduction] ou si un auteur a modifié le matériel créé par l’IA à un point tel que les modifications répondent aux critères de protection du droit d’auteur[4].
En outre, les demandeurs doivent renoncer aux aspects de leur travail créés par l’IA s’ils contiennent plus qu’une quantité de minimis de matériel créé par l’IA[5]. La protection du droit d’auteur ne s’appliqueraient donc qu’aux éléments créés par l’humain[6]. Dans une décision de l’USCO de septembre 2023, les modifications visuelles apportées par un auteur humain à une image initialement créée par Midjourney ont été jugées suffisantes pour bénéficier d’une protection du droit d’auteur. Toutefois, le demandeur n’ayant pas renoncé aux aspects de l’image attribuables à l’IA, l’USCO a refusé d’enregistrer le droit d’auteur sur l’image.
Protéger vos actifs créatifs : points à retenir pour les entreprises
Compte tenu de ce qui précède, comment les entreprises devraient-elles se positionner par rapport à l’IA générative pour en profiter sans compromettre leurs droits de propriété intellectuelle sur les œuvres créées? L’utilisation de modèles d’IA générative doit être soigneusement adaptée en fonction de trois facteurs clés.
Tout d’abord, les concepteurs, illustrateurs et designers – et les entreprises qui utilisent leurs services pour produire des actifs créatifs – devraient envisager l’IA générative comme un outil d’exploration plutôt que comme un substitut à la création par l’humain. Les outils d’IA générative doivent être utilisés pour mettre à l’essai des idées, créer des versions préliminaires ou peaufiner des contenus créés par des humains. La créativité humaine doit rester au centre des processus menant aux produits finaux, et le processus créatif doit être adéquatement documenté. Au minimum, les décisions et les choix créatifs des humains devraient viser à remanier ou à modifier les œuvres générées par l’IA.
Deuxièmement, les entreprises devraient envisager d’utiliser des clauses commerciales dans leurs contrats pour venir compléter la protection du droit d’auteur, notamment si elles craignent que les produits de l’IA ne puissent être protégés par le droit d’auteur. De telles clauses pourraient inclure des obligations contractuelles qui limitent l’utilisation des technologies d’IA générative ou l’intégration de créations de l’IA. Lorsque de telles technologies ou créations sont utilisées ou intégrées, elles devraient faire l’objet d’une documentation adéquate. Les ententes de développement devraient également prévoir des déclarations et des garanties propres à l’IA garantissant que les produits finaux résultent en grande partie de la création humaine, ainsi que des dispositions d’indemnisation qui répondent aux préoccupations de contrefaçon des œuvres générées par l’IA. Ces mesures contractuelles peuvent offrir une protection supplémentaire pour les entreprises qui cherchent à renforcer leurs droits sur les œuvres générées par l’IA.
Troisièmement, les entreprises devraient accorder une plus grande attention aux marques de commerce pour protéger leurs droits sur les œuvres générées par l’IA. Au Canada, les marques de commerce servent à protéger divers aspects d’une image de marque, y compris les noms d’entreprise, les noms de produits ou de services, les logos et les slogans. Or, il est important de noter que le droit des marques ne prévoit aucun critère relatif à la création humaine. Ainsi, du matériel de marketing créé par l’IA pourrait bénéficier de la protection des marques de commerce, malgré l’incertitude qui entoure son statut relatif au droit d’auteur.
Ces incertitudes devraient inciter à une approche prudente et réfléchie de l’utilisation de l’IA générative dans le processus créatif. Il sera de plus en plus important d’avoir recours à des solutions adaptées aux circonstances propres à chaque entreprise. L’équipe de propriété intellectuelle de Fasken est à votre disposition pour vous aider à obtenir une protection optimale de vos droits sur les œuvres créées par l’IA.
[1] United States Copyright Office, « Copyrightable Authorship: What Can Be Registered » (28 janvier 2021), disponible en anglais uniquement, à la p. 7.
[2] Ibid, p. 8.
[3] United States Copyright Office, « Copyright Registration Guidance: Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence » (16 mars 2023), disponible en anglais uniquement, p. 16191-16192.
[4] Ibid, p. 16192.
[5] Ibid, p. 16193.
[6] Ibid.