Dans un arrêt rendu le 17 novembre 2023, la Cour suprême du Canada a confirmé que le Tribunal administratif des marchés financiers (« Tribunal »), un tribunal administratif québécois chargé notamment de trancher les différends dans le domaine des valeurs mobilières, avait compétence sur une opération de manipulation de marché de type « gonflage et largage de titres » (a pump and dump scheme) dans un cas où les faits tendant à établir la compétence du Québec étaient les suivants :
- Le président-directeur général de la société, Solo International inc. (« Solo »), dont on faisait la promotion des titres, était un résident du Québec;
- Solo était une société émettrice assujettie au Québec et les individus intimés en étaient actionnaires;
- Solo avait des bureaux à Montréal;
- Les campagnes de publicité concernant Solo avaient été faites à partir du Québec;
- Une filière de Solo, ayant le même PDG, avait acquis des droits miniers au Québec;
- Des investisseurs du Québec avaient subi des pertes.
L’ Autorité des marchés financiers, mise au fait de cette opération, a déposé devant le Tribunal une demande de pénalité administrative, d’interdiction d’agir à titre d’administrateur ou dirigeant et d’interdiction d’opérations sur valeurs à l’encontre des intimés. Ceux-ci ont répondu en plaidant un moyen déclinatoire de compétence basé sur le fait que les personnes visées résidaient à l’extérieur du Québec, en Colombie-Britannique plus précisément, que Solo était une société étrangère constituée selon les lois de l’État du Nevada et que les actions de Solo étaient transigées aux États-Unis sur ce que l’on appelle l’Over-the-Counter Bulletin Board.
Le Tribunal a rejeté ce moyen déclinatoire de compétence.
La Cour supérieure a rejeté la demande de révision judiciaire.
La Cour d’appel a rejeté l’appel.
En Cour d’appel, même si les juges ont tous été d’avis de rejeter l’appel, leurs motifs différaient sur un élément : deux juges étaient d’avis qu’il n’y avait pas lieu de se fonder sur les règles du droit international privé du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), qu’il fallait plutôt s’en remettre aux règles du droit public et mettre l’accent sur le fait que le litige présentait un « lien réel et substantiel » avec le Québec. L’ autre juge a plutôt été d’avis qu’il fallait appliquer les règles du C.c.Q. portant sur le droit international privé.
La Cour suprême du Canada a tranché le débat et a rejeté l’approche des juges de la Cour d’appel, tant ceux qui se sont basés sur le droit public que celui qui s’est basé sur les règles du C.c.Q. portant sur le droit international privé.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont proposé une approche différente, mettant l’accent sur le C.c.Q., notamment sur la disposition préliminaire qui établit que le C.c.Q. constitue le « droit commun » du Québec, c’est-à-dire le doit d’application général et qu’il agit à titre supplétif lorsque se pose une question d’interprétation et d’application de lois. Or, en l’espèce, ce n’est pas le C.c.Q. qui confère compétence au Tribunal, mais plutôt la législation québécoise sur les valeurs mobilières. En effet, la Loi sur l’Autorité des marchés financiers (maintenant connue sous le nom de Loi sur l’encadrement du secteur financier) accorde au Tribunal la compétence pour rendre des décisions en vertu notamment de la Loi sur les valeurs mobilières.
Ces deux lois ne prévoient toutefois pas expressément que le Tribunal a compétence sur des parties de l’extérieur du Québec. Afin de déterminer si ces lois sont applicables dans de telles circonstances, il faut analyser le caractère suffisant du lien entre la province de Québec, l’objet de ces lois et les personnes que l’on cherche à régir.
La Cour a ajouté que l’analyse du lien suffisant devait en l’espèce « reconnaître la nature transnationale de la réglementation moderne des valeurs mobilières et l’intérêt public de s’attaquer à la manipulation du marché international » (par. 128).
Vu les faits de l’affaire, la Cour suprême a conclu que le caractère suffisant de ce lien avait été établi et que le Tribunal avait par conséquent compétence sur les personnes visées par la demande.
Il reste donc à voir ce qui se passera dans cette affaire quand ces personnes retourneront devant le Tribunal pour l’audience sur le fond.