Dans l’arrêt WM Québec inc. c. Ville de Drummondville (2024 QCCA 4) rendu le 9 janvier 2024, la Cour d’appel apporte d’importantes précisions sur la capacité des tribunaux judiciaires d’intervenir lorsqu’un propriétaire lésé estime qu’un règlement adopté par une municipalité locale n’est pas conforme aux outils de planification supérieurs que sont le plan d’urbanisme ou le schéma d’aménagement et de développement (le « SAD »).
Dans cette affaire, la société Waste Management (« WM ») soutenait qu’un règlement municipal adopté par la Ville de Drummondville qui ne permettait pas l’usage spécifique d’« enfouissement sanitaire » dans un secteur identifié au SAD comme ayant l’affectation « gestion des matières résiduelles » était illégal, car non conforme au SAD, puisqu’il contrecarrait l’objectif du SAD de permettre l’agrandissement d’un lieu d’enfouissement technique.
En première instance, la Cour supérieure avait estimé qu’elle ne disposait pas du pouvoir d’intervenir sur une question de « conformité » en application de ce qu’elle estimait être les enseignements de la Cour d’appel tirés d’un arrêt rendu en 1988 dans l’affaires Pires c. Charlesbourg. Au surplus, elle ajoutait que même si un tel pouvoir lui était reconnu, que le règlement de la Ville de Drummondville était conforme avec le SAD, car le règlement de zonage ne contrecarrait pas nécessairement les objectifs du SAD. Ces deux conclusions ont été infirmées en appel.
Distinction entre les notions de « légalité » et de « conformité »
Pour bien comprendre l’importance de cette décision, il y a lieu d’effectuer un bref rappel de la distinction, en droit municipal, entre les notions de « légalité » et de « conformité ».
Un règlement sera considéré comme illégal notamment lorsque la municipalité locale n’avait pas le pouvoir de l’adopter. Il le sera également lorsqu’un règlement est adopté de mauvaise foi, de façon abusive ou pour des fins illégitimes. Il s’agit de conditions de validité de tout acte réglementaire qui découlent de l’application de principes généraux de droit administratif. Il n’y a aucune controverse sur le fait que la Cour supérieure peut intervenir lorsqu’un règlement est illégal.
Le concept de « conformité » réfère quant à lui à la compatibilité entre le règlement adopté par la municipalité locale et les outils supérieurs que sont le plan d’urbanisme et le SAD, lesquels sont eux-mêmes assujettis à une obligation de conformité similaire avec les orientations gouvernementales ou métropolitaines. En effet, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme prévoit un mécanisme par lequel des orientations générales imposées par les niveaux supérieurs sont éventuellement traduites en normes réglementaires locales suivant une modification successive des outils réglementaires à travers un processus qualité de « concordance ». De telles normes peuvent consister, par exemple, dans des obligations de densification de certains secteurs ou de modification des usages permis. Cette obligation de conformité s’applique également aux modifications ponctuelles des règlements municipaux qui ne doivent pas aller à l’encontre de ce que prévoit le SAD.
Le mécanisme de contrôle de la conformité repose en temps normal sur une analyse du règlement de zonage par la municipalité régionale de comté (« MRC ») qui, si elle estime qu’il est conforme aux orientations de son SAD, délivrera un certificat de conformité qui permettra à ce règlement d’entrer en vigueur. Or, s’agissant d’un processus politique, celui-ci peut mener à une tolérance des non-conformités en raison d’une dynamique locale, par exemple lorsque le préfet d’une MRC est également le maire de la municipalité qui a adopté la norme qui contrevient au SAD, comme dans l’affaire étudiée par la Cour d’appel.
Le précédent de l’arrêt Pires écarté par la Cour d’appel
Depuis 1988, un fort courant jurisprudentiel, soutenu par la doctrine, soutient que la Cour supérieure ne peut intervenir afin de contrôler la validité d’un règlement de zonage sur la base d’une non-conformité. Ceci découle d’un arrêt rendu par la Cour d’appel en 1988 dans l’affaire Pires qui avait déterminé que la Cour supérieure ne pouvait intervenir en matière de conformité « locale », soit l’analyse de la compatibilité entre un règlement de zonage d’une municipalité et son plan d’urbanisme, car cette fonction de contrôle avait été confiée par le législateur à un organisme spécialisé en la matière, la Commission municipale du Québec (la « CMQ »). Dans cette affaire, les justiciables avaient omis de se prévaloir dans les délais du recours devant la CMQ. Le raisonnement de cet arrêt fut la suite importé dans les cas de conformité « régionale », soit la compatibilité entre un règlement de zonage et le SAD d’une MRC.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel à la lumière des précisions apportées
Sans remettre en question les enseignements de l’arrêt Pires dans un contexte de conformité locale où un recours existerait devant la CMQ, la Cour d’appel rejette toute importation de ce raisonnement lorsqu’il est question de conformité régionale.
En effet, sauf rares exceptions dans les cas de Ville-MRC, un justiciable ne peut s’adresser à la CMQ afin de faire contrôler la conformité d’un règlement de zonage au SAD d’une municipalité (conformité régionale). Seule la municipalité locale peut le faire en cas de refus de la MRC de certifier conforme le règlement suivant son adoption si bien qu’en cas de tolérance de la MRC face à une contravention au SAD, le justiciable lésé par la réglementation se trouve sans recours autre que de se pourvoir devant la Cour supérieure :
[101] Il va de soi qu’un justiciable qui soutient que ses droits sont lésés par l’imposition d’une norme réglementaire qui ne se conforme pas au plan d’urbanisme ou aux objectifs du schéma ou à une disposition de son document complémentaire, et qui ne se prévaut pas du mécanisme de contestation de la conformité mis à sa disposition par la loi (lorsque la loi prévoit un tel mécanisme), comme c’était le cas dans Pires, pourrait voir la Cour supérieure refuser de contrôler cette conformité vu qu’un autre recours prévu par la loi était disponible pour ce faire et que le justiciable ne s’en est pas prévalu. Ce justiciable est alors dans une position qui n’est pas différente de celui à qui le législateur a retiré le droit de contester une décision administrative auprès des tribunaux judiciaires tout en confiant cette tâche à un décideur administratif, par exemple à un arbitre. Si ce justiciable n’exerce pas le recours que la loi lui accorde, sauf exception, il ne pourra se pourvoir en contrôle judiciaire à l’encontre de la décision.
[102] Si, au contraire, ce justiciable se prévaut de ce droit de contester cette décision administrative auprès du décideur administratif à qui le législateur a confié la fonction d’en décider, il est incontestable qu’il pourra, une fois ses droits et recours de révision et d’appel administratifs épuisés, demander à la Cour supérieure d’exercer son pouvoir de contrôle judiciaire.
[103] À mon avis, il en va de même lorsque la loi n’accorde pas au justiciable un mode particulier de contestation ou de révision du règlement quand la loi impose à la municipalité une obligation de le rendre conforme aux objectifs du schéma et aux dispositions de son document complémentaire, de même que du certificat délivré par la MRC qui l’attesterait.
[104] En l’espèce, c’est précisément la situation dans laquelle se trouve WM à l’égard des règlements de conformité et du certificat de conformité. Contrairement à la situation qui prévalait dans Pires, WM ne dispose d’aucun recours à l’encontre des règlements et du certificat de conformité. On ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir présenté une demande d’avis contraignant à la CMQ puisque la LAU n’accorde ce droit qu’à la Ville lorsqu’elle souhaite contester la résolution de la MRC qui refuse d’attester la conformité de ses règlements au schéma ou si elle omet de se prononcer dans le délai prévu pour le faire. L’article 137.15 LAU, qui prévoit qu’une fois le certificat de conformité émit par la MRC le règlement « est réputé conforme aux objectifs du schéma et aux dispositions du document complémentaire », doit alors être compris comme étant révélateur de l’intention du législateur d’assurer la stabilité aussi bien du règlement que des permis et autorisations délivrées en vertu de celui-ci. Mais cette intention ne pourra être décisive et le règlement et le certificat de conformité pourront être annulés si la décision a été prise dans un but manifestement détourné, de mauvaise foi ou pour tout autre motif d'illégalité, en d'autres mots si la décision viole les principes fondamentaux du droit.
[105] Le juge écrit que « [s]i la Ville et la MRC ont agi de mauvaise foi, de façon abusive ou pour des fins illégitimes, le Tribunal pourrait intervenir, mais ce moyen ne peut être utilisé pour contourner la présomption irréfragable de conformité »[70]. Avec égards, je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Dans certains cas, dépendamment des circonstances de l’affaire, le contrôle de la légalité du règlement pourra au contraire inévitablement passer par l’examen de sa conformité aux objectifs du schéma et aux dispositions de son document complémentaire. Ce pourra être le cas, par exemple, afin de contrôler la légalité de la décision en présence d’allégations selon lesquelles elle aurait été prise de mauvaise foi ou dans un but manifestement détourné. Évidemment, dans un tel cas, le fardeau du justiciable sera plus lourd que s’il s’agissait de simplement vérifier la conformité du règlement au schéma (comme le ferait la CMQ) ou d’un appel, vu la norme de contrôle qui doit être appliquée.
L’importance de l’arrêt rendu
Cet arrêt est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur la latitude dont jouissent les municipalités locales dans leur capacité d’interpréter les obligations qui leur sont faites de modifier leur réglementation locale pour tenir compte d’orientations provenant des paliers supérieurs, notamment dans un contexte de densification du territoire.
Dans un contexte où les municipalités locales peuvent être réticentes à se conformer aux orientations régionales ou métropolitaines, notamment en matière de densification du territoire, la capacité des propriétaires de se pourvoir devant les tribunaux pour assurer le respect des nouvelles orientations est primordiale et permettra de contester des abus.
Tout compte fait, les enseignements de l’arrêt WM pourront être utilisés par des propriétaires fonciers confrontés à une réglementation non conforme à un outil de planification supérieure.