Dans une instance qui sera particulièrement déterminante pour les émetteurs assujettis partout au pays, la Cour suprême du Canada (CSC) se penchera sur le sens du terme « changement important » employé dans la législation sur les valeurs mobilières. Plus précisément, la CSC a accueilli la demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») dans l’affaire Markowich v. Lundin Mining Corporation[1], qui porte sur un litige en matière de divulgation découlant de l’instabilité des parois d’une fosse et d’un éboulement subséquent dans un projet minier.
Le juge de première instance a rejeté la motion de la partie demanderesse visant à intenter une poursuite concernant le marché secondaire ainsi qu’à faire certifier l’instance comme recours collectif, car il n’était raisonnablement pas possible que la partie demanderesse parvienne à démontrer que l’instabilité des parois et l’éboulement constituaient des « changements importants » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « Loi »). La Cour d’appel a infirmé à l’unanimité la décision du tribunal de première instance et conclu que le terme « changement important » avait été appliqué de façon trop étroite et qu’il fallait plutôt lui donner une interprétation [traduction] « généreuse » et « élargie ».
Voici les principaux points à retenir pour les émetteurs assujettis au Canada :
- Des interprétations divergentes du terme « changement » sont en jeu dans l’affaire Markowich. La question sera de savoir si la CSC adoptera l’approche étroite du juge de première instance, l’approche élargie de la Cour d’appel ou une autre approche.
Il est possible que la CSC juge important de préciser quels événements sont [traduction] « externes » à l’émetteur et lesquels sont « internes », puisque la Cour d’appel a souligné que la « principale contrainte » de la définition de « changement » est qu’un changement ne peut être « externe » à l’émetteur. - Il est possible que la CSC juge important de préciser quels événements sont [traduction] « externes » à l’émetteur et lesquels sont « internes », puisque la Cour d’appel a souligné que la « principale contrainte » de la définition de « changement » est qu’un changement ne peut être « externe » à l’émetteur.
- Si la CSC penche du côté du raisonnement de la Cour d’appel, on pourrait voir une diminution des exigences pour satisfaire au premier volet de l’analyse en deux étapes du changement important établie par la CSC, soit la confirmation qu’un changement a eu lieu. Avec cette diminution des exigences, le poids de l’analyse reposerait alors davantage sur le deuxième volet, c’est-à-dire de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que le changement ait une incidence appréciable sur le cours de l’action de l’émetteur.
- Selon la voie que prendra la CSC, les conséquences pour les émetteurs assujettis pourraient être considérables. Ils pourraient devoir réviser leurs processus internes d’examen et d’analyse de l’information continue. D’ici là, l’interprétation élargie du terme « changement » de la Cour d’appel continue de s’appliquer aux émetteurs concernés.
La décision de la Cour d’appel a fait l’objet d’un bulletin rédigé par notre équipe. Visitez notre centre du savoir sur les marchés des capitaux pour obtenir d’autres ressources.
Faits et décision du juge de première instance
Le litige dans l’affaire Markowich porte sur un retard illégal allégué dans la communication d’information par la société minière concernant un éboulement survenu dans sa mine de cuivre à ciel ouvert au Chili. Selon les estimations, environ 600 000 tonnes de déchets ont dévalé une pente, ce qui a limité l’accès à une partie de la mine. Lorsque les événements ont été rendus publics un mois plus tard, le cours des titres de la société à la Bourse de Toronto a chuté de 16 %, soit une baisse de plus de 1 milliard de dollars de la capitalisation boursière de la société. Ultimement, ces événements se sont traduits par une diminution de 5 % des activités de production de cuivre de la société pour 2018.
Le juge de première instance a estimé que la partie demanderesse n’avait pas démontré qu’il y avait une probabilité suffisante qu’elle réussisse au procès à établir que les événements constituaient un « changement important ». Bien que l’éboulement ait entravé une partie des activités de la société à la mine, le juge a souligné que l’instabilité de la fosse et les éboulements étaient fréquents dans les mines à ciel ouvert. La société n’avait pas dû modifier ses activités, cesser d’utiliser la mine, ni modifier la structure de son capital en raison de cet éboulement.
L’interprétation large du terme « changement » par la Cour d’appel
À quoi s’attendre? Considérations et défis pratiques
La Cour d’appel a souligné que la définition de « changement important » dans la législation sur les valeurs mobilières reflète un équilibre raisonnable entre les intérêts des investisseurs et ceux des émetteurs. Bien que les investisseurs devraient être informés rapidement d’événements importants se produisant, il n’est pas réaliste d’exiger que l’émetteur déclare régulièrement tout fait nouveau ayant une incidence sur ses activités. Une communication excessive de renseignements peut également produire l’inverse de l’effet escompté en submergeant les investisseurs de renseignements.
Une définition claire de « changements importants » est donc essentielle à l’efficience des marchés financiers. Néanmoins, les émetteurs se demandent souvent ce qui constitue exactement un tel changement.
Par exemple, la distinction entre les événements « externes » et les événements « internes » n’est pas tout le temps évidente. De la même manière, il peut s’avérer difficile de déterminer si et quand un changement s’est produit à l’égard de l’activité, de l’exploitation ou du capital d’un émetteur, et surtout de déterminer avec certitude à quel moment un changement s’est produit, et non à quel moment il a été anticipé ou craint. Cette décision peut s’avérer particulièrement problématique lorsque le changement important potentiel se traduit par un changement des risques pour l’activité, l’exploitation ou le capital de l’émetteur.
De plus, les émetteurs doivent souvent composer avec, d’une part, la pression exercée pour qu’ils rendent public un événement inattendu et, d’autre part, le désir de ne rien communiquer jusqu’à ce que la situation et ses conséquences potentielles soient pleinement comprises, notamment pour s’assurer que l’information est complète au moment où elle est communiquée. Certains faits nouveaux peuvent également être plus complexes que d’autres, par exemple, ceux de nature très technique ou nécessitant l’analyse d’experts qualifiés, et donc, moins susceptibles d’être divulgués facilement ou rapidement.
Nous sommes convaincus que la CSC saura profiter de cette occasion pour fournir des indications claires aux émetteurs d’une manière conforme aux pratiques exemplaires actuelles sur le marché canadien.
[1] 2023 ONCA 359 (CanLII) (en anglais). Autorisation d’appel accordée : Lundin Mining Corporation, et al. c. Dov Markowich, 2024 CanLII 25743 (CSC).