Introduction
Le 3 juillet 2024, le gouvernement du Québec a publié, sous forme de projet, le Règlement sur les paiements et le règlement rapides des différends en matière de travaux de construction (le « Règlement ») qui complète les nouvelles dispositions du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics[1](la « LCOP ») introduites par la Loi visant principalement à promouvoir l'achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d'intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l'Autorité des marchés publics[2] adoptée en 2022 (la « Loi »)[3]. Notons que ces nouvelles règles ne s’appliqueront qu’aux contrats de construction publics et non aux contrats de services ou aux contrats d’approvisionnement. Aussi, elles ne s’appliqueront pas aux contrats de construction publics et sous-contrats qui sont en cours à la date d’entrée en vigueur (article 69 du Règlement).
Présentement, et jusqu’à l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles, les mécanismes pour les demandes de paiements, les déductions, les retenues contractuelles et la résolution de différends étaient généralement ceux prévus par le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics[4], par les documents contractuels ou, à titre supplétif, par le Code civil du Québec. Or, les nouvelles règles prévues par la Loi et le Règlement seront obligatoires. En effet, toute clause ayant pour effet d’exclure les nouvelles règles du chapitre V.2 de la LCOP ou du Règlement seront considérées nulles[5].
Il sera donc important pour les organismes publics et les divers acteurs du milieu de la construction de bien comprendre la portée de ces nouvelles règles pour respecter les différents délais prévus et pour pouvoir tirer avantage du nouveau mécanisme de résolution de différends par un tiers décideur prévu par le Règlement.
Les mécanismes de paiements rapides
Demandes de paiement : Toute demande de paiement devra être réalisée conformément aux conditions fixées par le Règlement (article 21.48.21 LCOP). Le Règlement établit des délais précis pour la communication et le traitement des demandes de paiement. Par exemple, les entrepreneurs doivent soumettre leurs demandes de paiement au débiteur au plus tard le premier jour du mois, tandis que les sous-traitants ont jusqu'au 25e jour du mois pour le faire.
Documentation requise : Pour qu’une demande de paiement soit valide, les entrepreneurs doivent fournir les documents justificatifs prévus au contrat. Une clause exigeant des documents qui ne sont pas essentiels à l’évaluation de la demande de paiement pourra être déclarée nulle (Voir l’article 2 du Règlement).
Refus de paiement : Un débiteur qui estime ne pas être tenu au paiement demandé devra exprimer son refus à l’intérieur du délai établi par le Règlement (article 21.48.23 LCOP). À compter de la réception de la demande de paiement, les organismes publics ont 21 jours (tandis que les entrepreneurs ont 7 jours) pour émettre un avis de refus. Cet avis doit détailler les motifs de refus et se référer aux dispositions contractuelles ou légales pertinentes (articles 5 et 6 du Règlement).
Délais de paiement : Le débiteur doit payer toute somme qui lui est réclamée par une demande de paiement valide dans les délais fixés par le Règlement (article 8 du Règlement; article 21.48.24 LCOP).
Déductions: Un entrepreneur peut déduire d’un paiement dû à l’un de ses sous-traitants un montant équivalent à la somme que ce sous-traitant lui a réclamée pour des travaux qui ont fait l’objet d’un avis de refus émis par un autre débiteur de la chaîne contractuelle (article 10 du Règlement). Toutefois, une telle déduction ne peut être effectuée que si l’entrepreneur a transmis à son sous-traitant, au moins 7 jours avant la date limite pour effectuer le paiement, une copie de l’avis de refus sur lequel se fonde la déduction ainsi qu’un avis écrit indiquant la valeur de la déduction.
L’entrepreneur général qui effectue une telle déduction doit entreprendre avec l’organisme public un processus de règlement à l’amiable portant sur l’avis de refus de l’organisme public. Si, au terme d’un délai de 90 jours, aucune entente n’est intervenue avec l’organisme public, la somme déduite devient payable au sous-traitant, à moins qu’à l’intérieur de ce délai, l’entrepreneur n’ait entrepris les démarches afin que le différend soit tranché par un tiers décideur, un arbitre ou le tribunal (article 10 du Règlement).
Retenues : En vertu de l’article 13 du Règlement, un organisme public peut, afin de s’assurer de l’exécution du contrat par l’entrepreneur étant une partie au contrat public, retenir une partie de toute somme d’argent qu’il est tenu de lui payer en vertu de ce contrat. La retenue ne peut excéder 10 % de la somme due. Un entrepreneur général qui se voit ainsi opposer une retenue peut, à son tour, retenir une partie d’une somme qu’il est tenu de payer à l’un de ses sous-traitants, le cas échéant. Les modalités concernant la retenue doivent, dans tous les cas, être prévus dans les contrats écrits conclus entre les parties (article 13 du Règlement).
En vertu de l’article 14 du Règlement, un organisme public peut également retenir une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou aux malfaçons apparents de l’ouvrage. Ces retenues doivent être raisonnables. Toutefois, si des sommes ont déjà été retenues selon les termes de l’article 13 du Règlement et qu’elles demeurent impayées à l’entrepreneur à la date de la réception de l’ouvrage, celles-ci sont réputées, à compter de cette date, avoir été retenues selon les termes de l’article 14 du Règlement. Un entrepreneur général qui se voit ainsi opposer une retenue peut à son tour l’appliquer aux sous-traitants dont les travaux sont concernés. Une fois les travaux terminés de manière satisfaisante, les montants retenus doivent être libérés dans les 30 jours (article 15 du Règlement). Les entrepreneurs doivent alors transmettre les paiements aux sous-traitants dans les 5 jours suivant la réception des paiements (article 16 du Règlement).
Sous-traitants et hypothèques légales : Un organisme public peut faire une retenue pour acquitter la créance d’un sous-traitant ou pour acquitter les créances des personnes qui peuvent faire valoir une hypothèque légale et qui ont dénoncé leur contrat avec l’entrepreneur pour les travaux faits ou les matériaux ou services fournis après la dénonciation (article 17 du Règlement).
Exclusions : Les nouvelles règles concernant les mécanismes de paiement rapide introduits par la Loi et le Règlement ne s’appliquent pas à toute demande relative au paiement d’une somme d’argent qu’un entrepreneur estime lui être due en raison d’un « préjudice »[6] qu’il prétend avoir subi par suite de changement des obligations prévues au contrat ou des conditions d’exécution de celui-ci (article 22 du Règlement). Également, elles ne s’appliquent pas aux contrats publics conclus en situation d’urgence pour des raisons de sécurité (article 21 du Règlement).
Les mécanismes concernant la résolution de différends par un tiers décideur
Chaque partie impliquée dans un différend lié à un contrat public visé ou à un sous-contrant y étant lié qui n’a pu être réglé à l’amiable a le droit de demander que le différend soit soumis à un tiers décideur (article 21.48.26 LCOP) selon les conditions et le processus prévu par le Règlement.
Exclusions : Les réclamations monétaires de plus de 500 000 $ et les réclamations pour préjudice lié aux changements des obligations prévues au contrat ne peuvent être soumises à un tiers décideur (article 23 du Règlement).
Délai pour initier le processus : Une partie qui souhaite se prévaloir de ce droit doit notifier son cocontractant dans les 90 jours suivant la naissance du différend ou l’acceptation de l’ouvrage par l'organisme public ou, dans le cas d’un différend découlant d’un sous-contrat public, la fin des travaux de sous-traitance (article 24 du Règlement).
Demande d’intervention et désignation du tiers décideur : Une partie souhaitant soumettre un différend à un tiers décideur doit notifier une demande d'intervention à son cocontractant ayant un seul objet ou demandant au tiers décideur de réunir plusieurs objets (article 26 du Règlement). Le cocontractant dispose d’un délai de 5 jours pour y répondre (article 27 du Règlement). Les deux parties proposent les noms de trois tiers décideurs (articles 29 à 31 du Règlement). En l’absence de collaboration par le cocontractant quant au choix du tiers décideur, le tiers décideur est désigné selon les modalités prévues au Règlement.
Position écrite de la partie demanderesse : La partie qui a demandé l’intervention dispose d’un délai de 5 jours suivant la date à laquelle le tiers décideur a été désigné ou, si une demande de réunion d’objets de différends a été présentée, suivant la date à laquelle le tiers a statué sur la demande, pour communiquer à ce dernier et, si ce n’est déjà fait, à l’autre partie, un exposé de ses prétentions et les pièces à son soutien.
Défense du cocontractant : Le cocontractant dispose d’un délai de 15 jours pour répondre par écrit aux prétentions de celle qui a demandé l’intervention et produire ses pièces (article 35 du Règlement).
Pas de représentation par avocats : Une partie peut être conseillée par un avocat, mais l’avocat ne peut faire de représentations au nom de son client auprès du tiers décideur (article 37 du Règlement).
Témoignages par déclarations écrites : Les témoignages se font par déclaration écrite, sauf en cas de permission par le tiers décideur qu’un témoignage procède oralement à la demande d’une partie (article 39 du Règlement).
Décision du tiers décideur: Le tiers décideur doit rendre et notifier sa décision aux parties dans un délai de 50 jours après sa nomination, avec possibilité d’extension de 15 jours, ou plus, advenant un accord entre les parties à ce sujet (articles 44 à 46 du Règlement). Une partie condamnée à payer une somme d'argent dispose de 20 jours pour acquitter cette somme, dès notification de la décision.
Confidentialité : Les parties et le tiers décideur doivent garder confidentiel le contenu de l'intervention, sauf en cas d’accord à l’effet contraire. Les décisions rendues peuvent être utilisées dans des différends ultérieurs ou pour contester le droit à un recours si elles concernent les mêmes parties et le même sujet (articles 47 à 49 du Règlement).
Effet de la décision du tiers décideur : La décision rendue lie les parties jusqu’à ce que, le cas échéant, un jugement rendu par un tribunal de droit commun ou une sentence arbitrale n’intervienne sur le même objet (article 21.48.27 LCOP). Si le débiteur ne respecte pas la décision dans le délai fixé, le créancier peut demander l’exécution forcée en déposant une copie de la décision auprès du tribunal compétent (article 21.48.28 LCOP).
Frais : Les frais et honoraires du tiers décideur sont normalement partagés équitablement entre parties, sauf décision contraire du tiers décideur, en cas d’abus de l’une ou l’autre des parties. Chaque partie assume ses propres frais encourus durant le processus (articles 50 et 51 du Règlement). Les honoraires d'un tiers décideur sont facturés à un taux horaire fixé par le tiers, mais plafonnés à des montants maximaux spécifiés au Règlement, et se situent entre 2 500 $ et 33 000 $ (articles 62 et 63 du Règlement).
Conclusion
En principe, le projet Règlement devrait être adopté suivant l’expiration d’un délai de 45 jours suivant sa publication, sous réserve de la possibilité que certaines modifications puissent être adoptées en fonction des commentaires communiqués au gouvernement du Québec à l’intérieur de ce délai. Le Règlement et les nouvelles dispositions de la LCOP concernant les mécanismes de paiements et de résolutions de différends pour les contrats de construction publics et du Règlement entreront en vigueur 15 jours suivant la publication du Règlement à la Gazette officielle du Québec.
Nous suivrons avec intérêt les développements liés à l’entrée en vigueur, l’interprétation et l’efficacité de ces nouvelles règles.
Si vous avez des questions ou besoin d’assistance à ce sujet, nous vous invitons à communiquer avec les auteurs.
[1] RLRQ, c. C-65.1.
[2] LQ, 2022, c. 18.
[3] Nous vous invitons à consulter nos publications précédentes si vous souhaitez en savoir davantage à ce sujet : https://www.fasken.com/fr/knowledge/2022/03/projet-de-loi-12 et https://www.fasken.com/fr/knowledge/2023/05/acpb-and-amp-effective-date-of-amendments-to-the-act.
[4] RLRQ, c. C-65.1, r. 5., articles 44 à 54. Ces articles prévoient certaines règles en lien avec les ordres de changement et la résolution de différends.
[5] Voir l’article 21.48.20 de la LCOP introduit par la Loi.
[6] L’article 22 du Règlement définit le terme « préjudice » comme étant la perte de profits, de productivité ou d’une occasion d’affaires ainsi que toute dépense assumée par l’entreprise pour des éléments autres que ceux visés à l’annexe 6 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics.