De plus en plus d’entreprises prennent des mesures positives pour lutter contre les changements climatiques et cherchent à communiquer leurs stratégies, leurs résultats et leurs cibles en matière de climat aux clients, aux investisseurs et au grand public. Cela dit, l’examen externe des initiatives climatiques des entreprises s’intensifie également. Les dirigeants d’entreprise sont donc potentiellement confrontés à une double contrainte : s’ils n’en disent pas assez sur le climat, ils risquent d’être accusés d’inaction; s’ils en disent trop, ils risquent d’être accusés de « blanchiment écologique » ou d’« écoblanchiment ».
L’objectif de ce bulletin est d’aider les entreprises à comprendre et à réduire les risques d’écoblanchiment associés aux déclarations liées au climat. Tout d’abord, nous discuterons du test juridique à appliquer à l’écoblanchiment, cette notion étant correctement comprise, basé sur les lois relatives aux allégations de pratiques commerciales trompeuses. Nous appliquerons ensuite ces concepts juridiques à trois domaines courants dans lesquels les communications des entreprises sur les questions climatiques donnent lieu à des allégations d’écoblanchiment : les engagements de carboneutralité des entreprises, les déclarations liées au climat sur les marchés publics et l’achat et la vente de compensations volontaires des émissions de carbone.
Pratiques commerciales trompeuses : où se trouve la ligne?
Le Canada, comme de nombreux autres pays, dispose de lois sur la protection des consommateurs qui interdisent les déclarations fausses ou trompeuses auprès du public. L’augmentation des déclarations environnementales au public, y compris les engagements de carboneutralité et d’autres déclarations liées au climat, a conduit à une augmentation importante des enquêtes et des mesures d’application des lois sur la protection des consommateurs ou de la Loi sur la concurrence concernant des déclarations d’écoblanchiment notamment par le Bureau de la concurrence et même par le biais d’actions collectives intentées par des parties privées.
La principale source des lois de protection des consommateurs au Canada est la Loi sur la concurrence du Canada. L’organisme responsable de l’application de la Loi sur la concurrence est le Bureau de la concurrence du Canada, un organisme d’application indépendant du gouvernement. Il relève de la compétence du Bureau d’utiliser des moyens procéduraux de collecte d’éléments de preuve, tels que des ordonnances de production et des mandats de perquisition, pour enquêter sur des contraventions potentielles à la Loi sur la concurrence. En matière civile, le Bureau joue le double rôle d’enquêteur et de procureur et peut demander des mesures réparatrices, notamment une ordonnance d’interdiction, des sanctions administratives pécuniaires pouvant atteindre 10 millions de dollars (dans le cas d’une société) et une ordonnance de restitution.
Parmi les règles de protection des consommateurs contenues dans la Loi sur la concurrence figurent des interdictions civiles et pénales générales contre les déclarations fausses ou trompeuses données au public sur un point important. Une entreprise ou un particulier contrevient à ces dispositions lorsque, dans le but de promouvoir la fourniture ou l’utilisation d’un produit, d’un service ou de tout intérêt commercial, il donne des indications qui sont fausses ou trompeuses au public sur un point important. L’étendue de ces dispositions englobe une grande variété d’indications, notamment en ce qui concerne les engagements de carboneutralité, les déclarations liées aux changements climatiques et les compensations volontaires des émissions de carbone.
Le Bureau a été très actif pour la mise en application des mesures légales contre l’écoblanchiment. Par exemple, le Bureau a fait partie d’une équipe mondiale d’organismes chargés de l’application de solutions concernant la controverse entourant les émissions de Volkswagen, dans le cadre de laquelle Volkswagen aurait fait des déclarations au public concernant des véhicules à faibles émissions. Très récemment, le Bureau et Keurig ont conclu une entente de consentement pour résoudre les préoccupations au sujet de déclarations environnementales fausses ou trompeuses faites aux consommateurs sur la recyclabilité de ses capsules KeurigMD K-CupMD à usage unique, ce qui a mené par la suite au lancement d’une action collective contre Keurig. En outre, le Bureau et son équivalent américain, la Federal Trade Commission, ont reçu diverses plaintes publiques d’écoblanchiment émanant de groupes environnementaux et portant sur des déclarations de « carboneutralité » et d’autres déclarations d’entreprises liées au climat. De même, la Commission européenne a publié les résultats de son étude portant sur les « allégations environnementales figurant sur les sites Web d’entreprises de divers secteurs d’activité ». L’étude a révélé que dans 42 % des cas, les allégations étaient exagérées, fausses ou trompeuses et étaient susceptibles d’être qualifiées de pratiques commerciales déloyales en vertu des règlements de l’Union européenne.
Alors, où se situe la limite entre la communication des engagements environnementaux et les déclarations trompeuses? Quelles mesures doivent être prises pour réduire le risque lié à la protection des consommateurs lors de la présentation de déclarations liées au climat? La mise en œuvre des déclarations d’écoblanchiment évolue et les limites définitives ne sont pas encore établies avec certitude. Cependant, les questions qui aident à faire cette évaluation sont les suivantes :
- Quelles sont les preuves scientifiques utilisées pour étayer une déclaration environnementale liée aux changements climatiques (par exemple, l’engagement d’une entreprise à réduire ses émissions de gaz à effet de serre à zéro à une date spécifique; la réalisation par une entreprise de la carboneutralité par le biais de compensations des émissions de carbone), et ces preuves sont-elles bien reconnues et acceptées?
- La déclaration environnementale liée aux changements climatiques est-elle équilibrée, ou est-elle déséquilibrée en mettant en avant les aspects positifs de la performance, mais en ignorant l’information négative ou celle qui va dans le mauvais sens?
- La déclaration environnementale liée aux changements climatiques est-elle absolue et sans réserve, ou bien nuance-t-elle ce qu’elle avance de manière appropriée en communiquant de façon claire sa portée et/ou ses limites?
En d’autres termes, le risque de mise en œuvre des mesures d’application de la Loi par le Bureau et d’autres organismes mondiaux de protection des consommateurs, ainsi que les litiges privés, y compris les actions collectives, est considérablement réduit si les déclarations liées au climat : (i) sont fondées sur des méthodologies de collecte et de quantification des données adéquates et bien reconnues; (ii) ne donnent pas lieu à des inférences de certification ou d’approbation indépendante, ou de satisfaction d’une norme ou d’un protocole externe, sans justification adéquate; et (iii) évitent de faire des déclarations environnementales sans réserve.
Comment ces principes généraux se traduisent-ils par des initiatives spécifiques des entreprises en matière climatique? Les trois sections suivantes traitent des domaines dans lesquels les allégations d’écoblanchiment des entreprises sont particulièrement courantes : les engagements de carboneutralité, les divulgations publiques des performances en matière d’émissions de GES et le rôle des compensations volontaires des émissions de carbone dans le respect des engagements climatiques des entreprises.
Écoblanchiment et engagements de carboneutralité des entreprises
Qu’entend-on par « zéro émission nette »?
Les engagements des entreprises en matière de climat sont très variés : certaines s’engagent à réduire les émissions absolues de GES par rapport à une année de référence d’un montant ou d’un pourcentage donné, tandis que d’autres se concentrent sur la réduction de l’intensité des émissions de GES (c’est-à-dire la réduction des émissions de GES par unité de production ou de revenu). Certaines promettent d’agir uniquement sur le dioxyde de carbone, tandis que d’autres incluent tous les GES dans leurs cibles. Mais dans la perspective de la COP26 (26e conférence des parties qui s’est tenue à Glasgow en 2021) , la forme la plus populaire d’engagement des entreprises en faveur du climat consistait à promettre de réduire leurs émissions de GES à zéro à une date donnée, généralement en 2050.
Lorsqu’une entreprise adopte un engagement de carboneutralité, elle déclare au monde entier qu’elle prendra des mesures d’ici une date déterminée pour contrebalancer les émissions de GES de ses activités, de sorte que ses émissions nettes de GES ne contribuent plus aux changements climatiques. Jusque là, tout va bien. Mais les problèmes surgissent peu après et les questions sur chaque aspect du concept « zéro émission nette » sont nombreuses :
- Comment délimiter les émissions de GES couvertes par l’engagement de carboneutralité d’une entreprise? La portée se limite-t-elle aux émissions directes de ses activités (appelées émissions de « portée 1 »), aux émissions indirectes provenant de l’achat d’électricité, de chaleur ou de vapeur (appelées émissions de « portée 2 ») ou à toutes les émissions en amont et en aval de sa chaîne d’approvisionnement (appelées émissions de « portée 3 »)?
- Comment évaluer les progrès d’une entreprise vers une telle cible à long terme? La cible « zéro émission nette » doit-elle se traduire en actions étape par étape qui peuvent être réalisées dans des délais plus immédiats?
- Quel type d’hypothèses les entreprises sont-elles autorisées à formuler en ce qui concerne l’évolution technologique vers des technologies et des processus à plus faible teneur en carbone lorsqu’elles établissent des plans pour atteindre leurs objectifs « zéro émission nette »?
- Dans quelle mesure les entreprises peuvent-elles utiliser les compensations des émissions de carbone pour compenser leurs émissions internes, ou doivent-elles progresser dans la réduction de leurs émissions de GES internes, en utilisant les compensations des émissions de carbone pour compenser uniquement les émissions résiduelles? Quels types de crédits compensatoires sont acceptables (c’est-à-dire ceux qui sont basés sur l’évitement ou la réduction des émissions de GES qui se produiraient autrement ou seulement ceux qui sont basés sur l’élimination physique et la séquestration des GES qui sont déjà présents dans l’atmosphère)?
Lexique sur les objectifs « zéro émission nette »
- « carboneutralité » : des compensations des émissions de carbone peuvent être utilisées pour ramener les émissions de GES actuelles d’une entreprise à zéro (se limite parfois aux émissions de dioxyde de carbone)
- « zéro émission nette » : engagement visant à atteindre la cible de zéro émission nette de GES d’ici une date donnée (habituellement 2050), y compris l’établissement de cibles progressives et l’utilisation de compensations des émissions de carbone uniquement pour les émissions résiduelles. Cette utilisation est parfois limitée uniquement au type de compensations des émissions de carbone lié à la réduction des GES.
- « émissions de portée 1 » : la totalité des émissions directes de GES provenant des activités d’une entreprise.
- « émissions de portée 2 » : la totalité des émissions indirectes de GES associées à l’achat d’électricité, de chaleur ou de vapeur utilisées dans les activités d’une entreprise.
- « émissions de portée 3 » : la totalité des émissions indirectes, en amont et en aval, de GES provenant des activités d’une entreprise, y compris les GES émis par l’utilisation des produits d’une entreprise (utilisation parfois limitée à une ou plusieurs sous-composantes importantes d’émissions en amont et en aval).
Pourquoi les entreprises adoptent-elles des cibles « zéro émission nette »?
Les cibles « zéro émission nette » ne sont pas imposées par les gouvernements (du moins pas encore). On peut donc se demander pourquoi les entreprises signent volontairement des engagements aussi onéreux.
Voici quelques raisons :
- Les entreprises tentent de répondre aux demandes des investisseurs institutionnels, des marchés financiers et des intermédiaires financiers préoccupés par les risques financiers liés aux changements climatiques inhérents à leurs avoirs en portefeuille (ou à ceux de leurs clients).
- Les entreprises tentent de répondre aux préoccupations des groupes de pression et des investisseurs accordant une plus grande importance aux facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), qui menacent de plus en plus de mener des campagnes de désinvestissement ou des campagnes de vote par procuration liées au climat.
- Les entreprises tentent d’aborder de manière proactive les risques financiers liés au climat à court et moyen terme, en prenant des mesures anticipées pour éviter les coûts d’adaptation à des réglementations liées au climat de plus en plus strictes.
Réduire le risque d’écoblanchiment pour les engagements de carboneutralité et autres objectifs climatiques
Les entreprises peuvent réduire les risques d’écoblanchiment en adoptant des cibles « zéro émission nette » et d’autres objectifs climatiques, comme suit :
- Étant donné que les déclarations en matière de carboneutralité sont orientées vers l’avenir et intrinsèquement difficiles à justifier, les entreprises doivent fixer des objectifs intermédiaires clairs, tangibles et facilement compréhensibles. Les entreprises doivent être capables d’« établir des liens », en décrivant comment leurs objectifs à court terme leur permettront d’atteindre leur cible « zéro émission nette » à long terme.
- Les entreprises doivent d’« exposer leur travail » lorsqu’elles fixent et communiquent leurs cibles en matière de climat et adoptent les paramètres qu’elles utiliseront pour mesurer leurs progrès. Bien que certaines données soient commercialement sensibles, les entreprises doivent être aussi transparentes que possible en ce qui concerne les données et les scénarios utilisés pour élaborer leurs cibles et leurs plans concrets. Il s’agit notamment de faire preuve de transparence quant aux écarts et aux incertitudes liés aux données.
- Les entreprises ne doivent pas oublier qu’elles communiquent leurs cibles et paramètres climatiques à plusieurs parties prenantes. Certaines parties prenantes rechercheront une vue d’ensemble de haut niveau, tandis que d’autres seront plus élaborés (et souvent sceptiques). Les entreprises doivent réfléchir à la manière dont des documents adaptés à un groupe peuvent être trompeurs ou simplement opaques pour un autre groupe. Complétez les descriptions des cibles et paramètres climatiques, lesquelles doivent être rédigées en langage clair, par des annexes techniques ou des documents approfondis disponibles en ligne.
- Les entreprises doivent s’assurer qu’elles communiquent leurs cibles climatiques de manière équilibrée. Elles doivent faire preuve de transparence quant aux défis, aux risques et aux limites auxquels elles sont confrontées, et ne pas se contenter de vanter leurs ambitions. La fixation et la communication des cibles climatiques doivent être comprises comme un exercice de clarté stratégique, et non de marketing ou de relations publiques. Il est souvent moins risqué pour les entreprises d’être transparentes sur les aspects de leurs cibles et du processus d’établissement des cibles qu’elles envisagent et qui pourraient être controversées, plutôt que d’essayer d’occulter la question.
- Les entreprises doivent décrire les cibles climatiques en termes commerciaux, plutôt que comme l’expression de leurs responsabilités sociales. Cela peut sembler contre-intuitif, car les entreprises se fixent souvent des cibles climatiques pour répondre à des préoccupations sociétales plus larges. Mais la rhétorique expansive qui est souvent utilisée pour décrire le rôle d’une entreprise dans la société peut facilement sembler trompeuse ou non fondée lorsqu’elle est examinée sous l’angle d’un engagement tangible à prendre des mesures concrètes pour lutter contre les changements climatiques. Le langage large et ambitieux associé aux cibles climatiques des entreprises est une source importante de risque lorsqu’il s’agit d’allégations d’écoblanchiment.
L’écoblanchiment et la communication des entreprises sur les changements climatiques
Depuis des années, les actionnaires activistes, les investisseurs institutionnels et les défenseurs des changements climatiques poussent les entreprises à une plus grande transparence en matière de climat. En réponse, de nombreuses sociétés publiques ont commencé à communiquer des renseignements sur le climat sur une base volontaire, soit dans le cadre de rapports plus larges sur la durabilité ou les facteurs ESG, soit dans des rapports autonomes sur le climat. Bien que de nombreuses personnes se soient félicitées de la diffusion des rapports volontaires des entreprises sur le climat, la nature volontaire de ces rapports a conduit certains critiques à les considérer comme un peu plus que de l’écoblanchiment.
C’est dans ce contexte que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (« ACVM ») ont publié leur projet de Règlement 51-107 sur l’information concernant les questions climatiques(le « Règlement 51 107 ») le 18 octobre 2021. S’il est adopté, le Règlement 51-107 rendra obligatoire la communication d’informations sur le climat par la plupart des émetteurs publics canadiens, à quelques exceptions près, notamment les fonds d’investissement et certains émetteurs étrangers. Il s’agit d’un changement important pour les ACVM. En 2019, les ACVM ont publié l’Avis 51-358 du personnel des ACVM – Information sur les risques liés au changement climatique, qui incite les émetteurs à tenir compte des risques liés au climat et à ne communiquer ces risques que si l’information est importante pour leur entreprise, conformément aux obligations générales d’information continue d’un émetteur.
Raison d’être des déclarations obligatoires liées au climat
Dans le cadre du suivi de l’Avis 51-358 du personnel des ACVM, les ACVM ont procédé à un examen de l’information sur le climat fournie par un certain nombre d’émetteurs canadiens. Les ACVM ont noté que cette information sur le climat, bien qu’elle s’améliore, continue de varier considérablement en matière de qualité, d’exhaustivité et de spécificité selon les émetteurs.
En particulier, les ACVM ont noté :
- l’information sur le climat fournie par les émetteurs peut ne pas être complète, cohérente ou comparable;
- l’information quantitative est souvent limitée et pas nécessairement cohérente;
- les émetteurs peuvent faire un tri en déclarant sélectivement par rapport à une norme ou un cadre volontaire particulier;
- à l’heure actuelle, les rapports sur le développement durable ne sont pas bien intégrés dans les structures de déclaration périodique des entreprises.
Les ACVM ont proposé le Règlement 51-107 afin d’améliorer la cohérence et la comparabilité de l’information fournie par les émetteurs sur les changements climatiques et les risques liés au climat. Plus particulièrement, les ACVM ont souligné les avantages suivants de la communication obligatoire des données climatiques :
- améliorer l’accès des émetteurs aux marchés financiers mondiaux en harmonisant les normes de divulgation canadiennes avec les attentes des investisseurs internationaux;
- améliorer l’accès des émetteurs aux marchés des capitaux mondiaux en améliorant les cadres d’information;
- mettre tous les émetteurs sur un pied d’égalité;
- supprimer les coûts à assumer pour s’adapter et satisfaire à des cadres d’information multiples.
Règlement 51-107 sur l’information liée aux changements climatiques
Tel qu’il est proposé, le Règlement 51-107 articule ses recommandations autour de quatre éléments centraux recommandés par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (« GIFCC »). Le GIFCC a été établi par le Conseil de la stabilité financière sur la base d’une demande des ministres des Finances et des banques centrales des pays membres du G20 de formuler des recommandations pour aider à réduire les risques liés au climat dans le système financier.
Les quatre éléments centraux en matière de communication d’information liée aux changements climatiques fondés sur le cadre du GIFCC sont les suivants :
- gouvernance (c’est-à-dire les processus de gouvernance du conseil d’administration pour la gestion des risques et des occasions liés au climat);
- stratégie (c’est-à-dire l’incidence des risques et occasions liés au climat sur les activités et la planification financière de l’émetteur à court, moyen et long terme, si cela revêt une importance);
- gestion des risques (c’est-à-dire les processus d’identification, d’évaluation et de gestion des risques liés aux activités de l’entreprise);
- paramètres et objectifs (y compris le rapport sur les émissions réelles de GES).
Les ACVM ont sollicité des commentaires sur deux options concernant la portée de la déclaration obligatoire des émissions réelles de GES. Dans chaque cas, un émetteur serait tenu de communiquer de l’information sur ses émissions de GES, du moins en partie, selon le modèle « se conformer ou s’expliquer », c’est-à-dire qu’il doit soit communiquer de l’information sur les émissions de GES, soit fournir une explication publique des raisons pour lesquelles il ne communique pas cette information sur les émissions de GES. Dans la première option, les émetteurs seraient tenus de communiquer de l’information, ou d’expliquer pourquoi ils ne communiquent pas l’information, les émissions de GES relevant des champs d’application 1, 2 et 3. Dans le cadre du second modèle, les émetteurs doivent divulguer leurs émissions de GES du champ d’application 1, mais seraient ensuite tenus de divulguer leurs émissions de GES des champs d’application 2 et 3 sur la base du principe « se conformer ou expliquer ».
Si le Règlement 51-107 est adopté, les émetteurs non émergents devront commencer à déposer l’information climatique obligatoire au plus tard en mars 2024 pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2023, et les émetteurs émergents devront commencer à déposer l’information liée aux changements climatiques obligatoire au plus tard en avril 2026 pour l’exercice se terminant le 31 décembre 2025.
Le projet de Règlement 51-107 est conforme aux tendances internationales plus larges dans lesquelles les autorités de réglementation en valeurs mobilières et autres modèlent leurs règles de communication obligatoire sur le climat sur le cadre du GIFCC. Toutefois, les ACVM se sont écartées de certaines recommandations du GIFCC. Par exemple, le GIFCC recommande aux entreprises de communiquer de l’information détaillée sur l’analyse de scénarios utilisée en interne pour fixer les objectifs et les stratégies climatiques. Les ACVM ont proposé que les émetteurs n’aient pas à communiquer ce type d’analyse de scénario. Le Règlement 51-107 diffère également des recommandations du GIFCC en autorisant la communication de l’information sur les émissions de GES des entreprises sur la base du principe « se conformer » ou « expliquer ».
Réduire les risques d’écoblanchiment dans le cadre de la communication d’information sur le climat par les entreprises
Le passage de la communication volontaire d’information à la communication obligatoire d’information sur le climat pour les entreprises publiques au Canada répondra à de nombreux problèmes d’écoblanchiment soulevés par les militants. Mais les enjeux pour les entreprises augmenteront de manière décisive si des allégations spécifiques d’écoblanchiment sont portées à la connaissance des autorités de réglementation en valeurs mobilières.
Les sociétés publiques peuvent réduire les risques d’écoblanchiment dans le cadre de leur communication d’information continue sur le climat, comme suit :
- En vertu du projet de Règlement 51-107, les sociétés ouvertes seront tenues de suivre des méthodologies acceptées pour calculer les émissions de GES, telles que le Protocole des GES ou d’autres méthodologies bien établies qui sont comparables au Protocole des GES. Le défi réside dans le fait que ces normes ont évolué pour fournir des directives dans le contexte de la communication volontaire d’information. Il n’est pas rare que les entreprises s’écartent des recommandations du Protocole des GES pour rendre leurs communications d’information liée aux questions climatiques plus importantes dans le contexte de leur marché ou pour combler des lacunes dans les données. Les entreprises qui sont déjà engagées dans la communication d’information liée aux questions climatiques devront revoir soigneusement leurs méthodes de quantification afin d’identifier et d’expliquer ces différences, tout en ne donnant pas l’impression que les pratiques passées étaient trompeuses.
- La communication d’information liée aux questions climatiques des entreprises nécessite une expertise technique et des efforts importants de collecte de données. Pour y parvenir, il faut du temps, des ressources et l’attention de la haute direction. Les sociétés doivent commencer à développer l’expertise nécessaire à la production de rapports crédibles et précis sur le climat, avant que cette communication d’information ne devienne obligatoire.
- De nombreuses entreprises publient déjà des rapports volontaires sur le climat avant l’imposition des obligations d’information. Pendant la période de transition, il sera important que les sociétés examinent plus attentivement la manière dont elles s’y prennent. Au minimum, les sociétés doivent préparer leurs rapports volontaires sur le climat avec la même diligence qu’elles prévoient d’appliquer lorsque ces rapports deviendront obligatoires. Il est conseillé aux émetteurs publics de veiller tout particulièrement à inclure des clauses de non-responsabilité appropriées en ce qui concerne l’information prospective, en s’assurant qu’elles sont détaillées et adaptées aux risques et incertitudes applicables à leur information liée aux changements climatiques.
- Les ACVM ont proposé que les émetteurs publics déclarent leurs émissions de GES sur la base du principe « se conformer » ou « expliquer ». Les émetteurs publics qui choisissent de s’appuyer sur ce mécanisme de flexibilité doivent s’attendre à ce que leurs explications sur les raisons pour lesquelles ils ont choisi de ne pas divulguer certains aspects de leurs données sur les émissions de GES soient scrupuleusement examinées. Ces explications doivent être détaillées et spécifiques, et non vagues ou passe-partout. Ces explications sont susceptibles de devenir un nouveau vecteur de risque d’écoblanchiment, car les critiques se concentrent sur ces explications pour faire valoir que les sociétés qui ont refusé de déclarer leurs émissions de GES sont engagées dans l’écoblanchiment.
Écoblanchiment et marchés volontaires du carbone
Les marchés volontaires du carbone sont des systèmes décentralisés et non gouvernementaux de financement du climat qui fournissent des incitatifs basés sur le marché aux développeurs de projets pour qu’ils entreprennent des activités qui réduisent de manière vérifiable les émissions de GES ou améliorent l’élimination des GES de l’atmosphère, au-delà de ce qui est requis par la loi. Les marchés volontaires du carbone ne doivent pas être confondus avec les marchés de conformité, où les gouvernements acceptent certaines compensations des émissions de carbone pour satisfaire aux exigences réglementaires. Sur les marchés volontaires du carbone, ce sont les engagements des entreprises en faveur du climat, et non les mesures gouvernementales, qui déterminent la demande. Et l’adoption de plus en plus large d’engagements de carboneutralité et d’autres engagements climatiques par les principaux émetteurs signifie que la demande de compensations volontaires des émissions de carbone est en plein essor. Le groupe de travail sur la mise à l’échelle des marchés volontaires du carbone (Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets) a estimé que, d’ici à 2030, la demande de compensations volontaires des émissions de carbone pourrait être 15 fois supérieure à ce qu’elle était en 2020, pour un marché d’une valeur supérieure à 50 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale.
Les marchés volontaires du carbone ont attiré plus que leur part d’allégations d’écoblanchiment. Cette mauvaise réputation est due en grande partie à des étapes antérieures du développement du marché des compensations des émissions de carbone, lorsque certains participants au marché du carbone échangeaient des compensations des émissions de carbone qui ne représentaient pas des réductions réelles et vérifiables des émissions de GES. Certaines des premières méthodologies de quantification étaient défectueuses, permettant aux développeurs de projets de réclamer des crédits pour des réductions de GES qui auraient eu lieu de toute façon ou qui ont été rapidement annulées. Dans d’autres cas, la surveillance était laxiste, permettant à certains crédits pour le carbone d’être émis pour des activités qui avaient déjà été « comptabilisées » pour une autre cible liée aux changements climatiques.
Mais beaucoup de choses ont changé depuis ces premiers jours. Un écosystème entier de développeurs de projets, de développeurs de protocoles de compensation, de registres de compensation et de fournisseurs d’assurance externes a émergé, tous ses acteurs partageant un intérêt commun pour le maintien de l’intégrité des demandes liées à l’environnement représentées par l’achat et la vente de compensations volontaires des émissions de carbone. Les gardiens de ces protocoles sont sérieux et sophistiqués, et fortement motivés pour s’assurer que toutes les compensations volontaires des émissions de carbone qui sont vendues reflètent des réductions réelles, vérifiables et supplémentaires des émissions de GES ou des suppressions de GES de l’atmosphère.
Malgré ces améliorations spectaculaires du contrôle de la qualité, les allégations d’écoblanchiment associées aux marchés volontaires du carbone persistent. Dans une certaine mesure, ces allégations d’écoblanchiment reflètent des différences entre les politiques. Ceux qui pensent qu’une politique climatique efficace nécessite une action réglementaire forte et persistante de la part des gouvernements, tant à l’échelle nationale qu’internationale, sont naturellement parmi les plus sceptiques vis-à-vis des marchés volontaires du carbone. Pour eux, un marché volontaire du carbone qui fonctionne bien est presque une contradiction en soi. Tout ce qui permet aux sociétés de réaliser plus facilement leurs ambitions climatiques à un coût économique moindre constitue un obstacle, car cela empêche de mobiliser le soutien politique en faveur de leurs approches politiques privilégiées.
Ironiquement, les efforts déployés de bonne foi par les registres de compensation, les développeurs de protocoles et les autres participants au marché pour répondre aux préoccupations antérieures des marchés volontaires du carbone ont également servi à exacerber les problèmes de communication liés aux compensations volontaires des émissions de carbone. Les protocoles et les méthodologies utilisés pour garantir l’intégrité des compensations volontaires des émissions de carbone sont devenus complexes, hautement techniques et quantitatifs, ce qui les rend opaques pour le consommateur moyen. Cela signifie qu’il est relativement difficile de communiquer sur les avantages climatiques des projets de compensation des émissions de carbone, alors qu’il est relativement facile pour les critiques de pointer du doigt un seul projet de compensation douteux et de rejeter du revers de la main toutes les compensations volontaires des émissions de carbone en les considérant comme de la « poudre aux yeux ».
Les sociétés doivent s’attaquer de front à ces problèmes d’écoblanchiment, en recadrant fondamentalement la manière dont elles comprennent leur participation aux marchés volontaires du carbone. Aujourd’hui, la plupart des sociétés considèrent les compensations des émissions de carbone comme des « choses », des produits fongibles qui sont achetés et vendus sur un marché neutre. Vu sous cet angle, il est rationnel pour une société qui s’engage sur le marché volontaire du carbone de se concentrer sur l’obtention du bon nombre de compensations des émissions de carbone au meilleur prix disponible. Cela encourage les acteurs du marché à minimiser les frais d’exploitation et à rationaliser les processus d’approvisionnement, des pratiques qui peuvent exacerber le risque d’écoblanchiment.
Au contraire, les sociétés doivent reconnaître que leur participation aux marchés volontaires du carbone est une forme de discours commercial, ainsi qu’une opération économique. En effet, lorsqu’une société achète une compensation volontaire de carbone et fait ensuite état publiquement des avantages climatiques qui y sont associés, elle fait une déclaration environnementale au public. Si ces affirmations se révèlent fausses ou trompeuses sur un point important, c’est l’acheteur qui assumera le risque réputationnel et, le cas échéant, le risque juridique.
Réduire les risques d’écoblanchiment liés aux compensations volontaires des émissions de carbone
L’utilisation de compensations des émissions de carbone de haute qualité restera une caractéristique de l’action climatique des entreprises pour de nombreuses années à venir. Les acheteurs de compensations volontaires des émissions de carbone peuvent réduire les risques d’écoblanchiment, comme suit :
- Le fait de recadrer les achats de compensations volontaires des émissions de carbone comme des déclarations ou des réclamations environnementales encourage les sociétés à adopter une approche plus prudente lors de l’achat de compensations volontaires des émissions carbone, notamment en effectuant une diligence raisonnable du point de vue du projet. Les sociétés qui reconnaissent les risques d’écoblanchiment associés aux compensations volontaires des émissions de carbone rechercheront, et seront prêtes à payer, des compensations des émissions de carbone de meilleure qualité dont l’intégrité environnementale est démontrable.
- Les sociétés doivent examiner attentivement les activités du projet qui sont entreprises pour générer des compensations volontaires des émissions de carbone. Les sociétés devraient s’intéresser aux types de projets dont les avantages pour le climat peuvent être facilement compris, clairement communiqués et objectivement vérifiés à l’aide de méthodologies largement acceptées.
- De nombreux critiques prétendront que les compensations des émissions de carbone générées en évitant ou en réduisant les émissions de GES en deçà des niveaux qui auraient autrement eu lieu sont intrinsèquement de faible qualité. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, l’argument selon lequel les compensations des émissions de carbone devront, au fil du temps, s’orienter vers ceux générés par l’élimination permanente des GES plutôt que par le ralentissement du taux d’émissions de GES est valable. Les sociétés peuvent répondre à ces préoccupations en adoptant une approche de portefeuille, en investissant au moins une partie de leur budget annuel pour les compensations volontaires des émissions de carbone dans des compensations des émissions de carbone à prix plus élevé générées par l’élimination des GES, ou dans celles qui dirigent les fonds vers la résolution des problèmes épineux de réduction des émissions de GES dans les secteurs où elles sont difficiles à éliminer.
- Les sociétés peuvent et doivent être ouvertes à d’autres approches et structures de financement de mesures positives pour lutter contre les changements climatiques qui les mettent en relation plus directe avec les activités du projet afin qu’elles puissent contrôler et attester de l’authenticité des avantages climatiques qu’elles revendiquent. Les sociétés innovantes explorent des options telles que le financement de mesures positives pour lutter contre les changements climatiques par les communautés locales, ou le financement d’initiatives de réduction des GES par d’autres acteurs de leur chaîne d’approvisionnement ou de leurs activités secondaires – parfois appelé compensation « en interne » (insetting) du carbone pour le distinguer de la « compensation des émissions » (offsetting) du carbone –, ou par le biais d’accords bilatéraux à long terme avec des développeurs de projets, ou des marchés numériques spécialisés dans une gamme étroite de types de projets de haute qualité.
Conclusion
De plus en plus de sociétés reconnaissent que les changements climatiques représentent un défi commercial important, ainsi qu’un problème de société plus large. Naturellement, les sociétés qui adoptent des mesures, des cibles et des politiques pour réussir dans un monde de plus en plus conscient et contraint par le carbone souhaitent également communiquer ces actions à leurs investisseurs, à leurs clients et au public. Mais de nombreux chefs d’entreprise ont l’impression de rouler sur une route de montagne sinueuse, avec un rocher abrupt d’un côté et une pente abrupte de l’autre : si l’on en dit trop peu sur le climat, on risque d’être accusé d’inaction; si l’on en dit trop, on risque d’être accusé de blanchiment écologique ou d’« écoblanchiment ». Ce bulletin a défini un certain nombre de mesures concrètes que les sociétés peuvent prendre pour réduire les risques liés aux déclarations environnementales liées aux changements climatiques sur le marché, ce qui leur permet de demeurer plus facilement sur la route. C’est une bonne chose, car les jours où l’on ne disait rien du tout sont dans le rétroviseur.