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L’après-FTX : Perspectives canadiennes en droit des valeurs mobilières

Fasken
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Technologies, médias et télécommunications

Le 11 novembre 2022, FTX, l’une des plus importantes plateformes d’échange de cryptomonnaies au monde, a déposé une demande de protection en vertu du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, tout comme plus de 100 entités de son groupe[1]. La faillite a été déclenchée par une crise de liquidités causée par une baisse de valeur de 80 % du jeton natif de la plateforme, le FTT. Toutefois, en amont, la faillite est attribuable à une gouvernance d’entreprise défaillante ainsi qu’à l’absence d’information financière fiable et au manque de surveillance réglementaire.

L’effondrement soudain de FTX – le dernier d’une série de faillites d’acteurs importants du secteur – a plongé encore davantage le secteur des cryptomonnaies dans la détresse au cours d’une année qui était déjà difficile. Toutefois, grâce aux exigences rigoureuses imposées par les autorités de réglementation canadiennes à l’égard des plateformes de négociation de cryptomonnaies canadiennes, les clients canadiens ont été protégés contre une partie de la secousse qui a ébranlé les plateformes à l’international.

L’effondrement

FTX, dont le fondateur est Sam Bankman-Fried, a son siège social aux Bahamas. Avec des équipes de direction se recoupant, FTX compte plusieurs entités dans son groupe, dont Alameda Research, une société de négociation de cryptomonnaies, et FTX.US, une plateforme d’échange de cryptomonnaies inscrite pour les utilisateurs situés aux États-Unis. Depuis sa constitution en 2019, FTX est rapidement devenue une plateforme d’échange de cryptomonnaies largement reconnue et très utilisée pour la négociation de produits dérivés de cryptomonnaies, de produits à effet de levier et d’opérations au comptant pour plus de 460 paires de cryptomonnaies[2]. En tant que troisième plateforme d’échange de cryptomonnaies centralisée en importance selon le volume, FTX a été évaluée à 32 milliards de dollars à la clôture de sa ronde de financement de série C en janvier 2022[3].

Au début du mois de novembre, Coindesk a publié un rapport mettant en cause la stabilité de la plateforme d’échange[4]. Le rapport mentionne qu’une partie importante des actifs d’Alameda Research était en jetons FTT. À la surprise de plusieurs, il s’avérait donc qu’Alameda dépendait fortement de jetons créés par sa société sœur. La séparation entre les sociétés et leur liquidité ont alors été remises en question.

D’autres découvertes de la mauvaise gestion des fonds des clients par FTX et de sa piètre situation financière ont provoqué des ondes de choc dans l’ensemble du secteur. Selon le Wall Street Journal[5], FTX avait secrètement prêté des fonds totalisant près de 10 milliards de dollars à Alameda pour ses investissements et remboursé certains prêts contractés par Alameda pour ses investissements. Une partie considérable de ces fonds a d’ailleurs été perdue, incluant notamment un prêt de 500 millions de dollars en faveur de Voyager Digital, un prêteur de cryptomonnaies ayant aujourd’hui fait faillite.

FTX aurait détourné les dépôts des clients en transférant des fonds à Alameda[6]. Le département de la Justice des États-Unis, la Securities and Exchange Commission et la Commodity Futures Trading Commission ont ouvert des enquêtes sur cette affaire. Le passif de FTX avant la faillite se serait élevé à 9 milliards de dollars[7]. À l’instar de FTX, FTX.US et Alameda Research ont également déclaré faillite dans l’État du Delaware le 11 novembre[8]. Sam Bankman-Fried a démissionné de son poste de chef de la direction le même jour. Le 13 décembre, il a été arrêté aux Bahamas puisque les autorités locales anticipaient une demande officielle d’extradition aux États-Unis. En plus des poursuites civiles pour fraude en matière de valeurs mobilières intentées par les autorités de réglementation américaines, Sam Bankman-Fried fait face à huit chefs d’accusation pour des actes criminels au fédéral. S’il est reconnu coupable, il risque des décennies de prison.

La secousse FTX et son incidence sur le marché canadien

Des cryptomonnaies populaires, dont le Bitcoin, ont vu leur valeur diminuer de plus de 20 % après l’effondrement de FTX. En plus de la chute des prix, la secousse a également créé un important risque d’effet domino sur les actifs dans l’ensemble du secteur, particulièrement pour ceux dont les actifs étaient fortement liés à FTX et aux sociétés de son groupe. Une semaine après l’implosion de FTX, le prêteur de cryptomonnaies BlockFi a également demandé la protection en vertu du chapitre  11 de la loi américaine sur les faillites après avoir déclaré qu’il avait une exposition significative à FTX et Alameda[9]. Alors que la secousse provoquée par l’effondrement de FTX se propage, les investisseurs et les acteurs du secteur au Canada ont aussi été touchés.

En mars 2021, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) avait annoncé l’obligation pour les plateformes de négociation de cryptoactifs qui offrent la négociation de produits dérivés ou de valeurs mobilières de se conformer à la législation en valeurs mobilières de l’Ontario. Cette obligation a limité les services que FTX pouvait offrir en Ontario jusqu’à ce que la plateforme soit dûment inscrite et obtienne le statut de courtier d’exercice restreint dans la province. Pour contourner l’obligation, FTX a envisagé l’acquisition d’une plateforme de négociation canadienne inscrite afin de profiter de ses inscriptions au Canada. L’effondrement subséquent de FTX est la preuve que les plateformes canadiennes réglementées doivent exécuter avec diligence leurs examens d’acquéreurs étrangers potentiels.

Contrairement à de nombreux investisseurs dans le monde dont les fonds ont été investis avec FTX, les Canadiens qui investissent dans les cryptomonnaies au moyen de plateformes inscrites de négociation de cryptoactifs ont été en mesure d’éviter le pire du choc. La société canadienne WonderFi Technologies Inc., qui possède les plateformes de négociation de cryptomonnaies Bitbuy et Coinberry, a publié une déclaration[10] le 10 novembre pour rassurer ses clients et investisseurs en les informant que, malgré un investissement initial dans FTX, les retombées n’auront pas d’incidence importante sur ses activités. Tout comme WonderFi, de nombreuses plateformes de négociation de cryptomonnaies inscrites au Canada ont également saisi l’occasion de rassurer les investisseurs canadiens quant à leur solvabilité et à la sécurité des fonds des clients, une situation attribuable à la surveillance et aux exigences réglementaires du Canada visant une gestion sécuritaire et assurée de tous les actifs des clients.

Le marché s’attend à ce que les autorités de réglementation agissent

L’effondrement de FTX a fait mal à de nombreux investisseurs, dont les investisseurs institutionnels. Alors que le marché réfléchit aux leçons apprises, la collaboration du secteur avec les autorités de réglementation pour développer et améliorer le cadre juridique ciblant ce secteur est plus nécessaire que jamais.

Le Canada s’est illustré pour sa mise en œuvre d’un cadre réglementaire efficace visant le secteur des cryptomonnaies grâce auquel la crise de FTX n’a pas eu d’effets dévastateurs au pays. Plus particulièrement, pour qu’une plateforme de négociation de cryptoactifs soit inscrite au Canada, elle doit d’abord présenter une demande afin d’obtenir le statut de courtier d’exercice restreint sous le régime de la législation canadienne en valeurs mobilières et respecter une série d’exigences, dont les suivantes : i) employer du personnel qualifié et un représentant certifié; ii) avoir un agent de conformité attitré; iii) maintenir en tout temps un certain montant de fonds de roulement net; et iv) obtenir un cautionnement et une assurance minimaux couvrant les pertes liées aux détournements, aux locaux, au transit, aux contrefaçons et aux titres. Les plateformes de négociation inscrites doivent faire approuver leurs activités par les autorités de réglementation canadiennes, qui s’attendent également à ce qu’elles aient mis en place des procédures appropriées de « connaissance du client » et à ce qu’au moins 80 % des actifs des clients soient stockés à froid auprès d’un dépositaire qualifié en tout temps.

Ce qu’il faut retenir

Bien que le régime de réglementation du Canada élimine certains facteurs de risque qui pourraient avoir directement contribué à l’effondrement de FTX, les chutes de prix et la perte de confiance dans le marché ont tout de même eu une incidence sur la valeur des cryptoactifs détenus par des Canadiens. L’effondrement de FTX a ouvertement alerté les investisseurs quant au risque indu auquel ils s’exposent lorsqu’ils investissent au moyen de plateformes non réglementées ou non inscrites. De nombreux investisseurs canadiens sont désormais en meilleure position pour apprécier l’importance de la réglementation et de l’application de la loi par les autorités de réglementation canadiennes.

Comme le secteur demande une protection et une surveillance accrues, les autorités de réglementation ont la lourde tâche de trouver un équilibre entre la nécessité de promouvoir l’innovation et la protection des investisseurs contre la multitude de risques que présente le secteur des cryptoactifs. À la suite des événements récents, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont annoncé le renforcement de leur approche et le rehaussement des obligations imposées aux plateformes exerçant des activités au Canada[11]. Dans une discussion sur l’effondrement de la plateforme FTX, Grant Vingoe, chef de la direction de la CVMO, a expliqué que le secteur a besoin d’une réglementation « élaborée collaborativement à l’échelle mondiale[12] ». Peut-être verrons-nous d’autres pays prendre le régime canadien en exemple alors que tous s’efforcent d’atteindre l’objectif essentiel de la collaboration mondiale à cet égard.



[7]    https://archive.ph/k1sML. Gara, Antoine; Shubber, Kadhim; Oliver, Joshua (12 novembre 2022). « FTX held less than $1bn in liquid assets against $9bn in liabilities ». Archivé à partir de l’original le 12 novembre 2022. Consulté le 12 novembre 2022.

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  • Daniel Fuke, Associé, Toronto, ON, +1 416 865 4436, dfuke@fasken.com
  • Julie He, Avocate, Toronto, ON, +1 416 865 5407, jhe@fasken.com

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