Introduction
Il n’est pas inhabituel de voir en matière de baux commerciaux l’inclusion de clauses d’option d’achat permettant au locataire d’acheter l’immeuble du bailleur après une durée déterminée, à un prix déterminé et figé dans le temps. Or, la surchauffe immobilière des dernières années a incité plusieurs locataires à se prévaloir de leur option d’achat, souvent pour un prix inférieur à la valeur marchande de l’immeuble.
Alors que la clause d’option d’achat contenue au bail du locataire pourrait laisser croire à celui-ci que l’option d’achat est valide pour la durée y étant inscrite, et ce, tant que le bail est en vigueur, l’état du droit confirme que ce n’est pas le cas, dans certaines circonstances. En effet, il appert des enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Carrière Holdings, rendu en 2018[1], que le bail commercial et l’option d’achat qu’il contient sont deux contrats distincts qui n’obéissent pas aux mêmes règles de droit. Qu’arrive-t-il donc lorsqu’un bailleur décide de vendre son immeuble à un tiers alors qu’il a consenti une option d’achat à son locataire, laquelle est toujours en vigueur?
La nature juridique de l’option d’achat
L’option d’achat représente un acte juridique bilatéral distinct et indépendant du bail, auquel elle semble pourtant greffée à première vue[2]. L’option d’achat confère un droit personnel au bénéficiaire de l’option[3], tout comme il est bien établi en doctrine et en jurisprudence que les droits découlant du bail sont des droits personnels et non réels[4]. Comme il s’agit d’un contrat distinct, l’option d’achat peut demeurer en vigueur même à l’expiration du bail liant les parties en raison de la nature du droit qu’elle confère[5].
L’option d’achat obéit d’ailleurs au droit des promesses de vente[6], puisqu’elle constitue en fait une promesse unilatérale de contracter[7], par laquelle le bailleur s’engage à vendre un immeuble déterminé au locataire, bénéficiaire de la promesse. Si celui-ci décide de se prévaloir de l’option qui lui a été accordée, les parties se trouvent alors obligées de conclure la vente envisagée de l’immeuble. Les auteurs de doctrine s’entendent pour dire que la levée de l’option d’achat ne produit pas automatiquement tous les effets de la vente. En effet, le transfert de propriété n’interviendra qu’au moment prévu par les parties, bien souvent à la signature de l’acte de vente[8].
L’opposabilité de l’option d’achat
Malgré la croyance populaire, contrairement au bail, la publication d’une option d’achat au registre foncier ne rend pas celle-ci opposable aux tiers acquéreurs de l’immeuble. Tel que précédemment énoncé, l’option d’achat confère un droit personnel à la partie bénéficiaire de celle-ci[9]. Ainsi, aucun droit réel ne découle de l’option d’achat et ne peut donc être opposé au tiers acquéreur[10]. L’option d’achat n’est ni admissible ni soumise à la publicité[11], bien qu’elle soit jointe à un bail publié au registre foncier.
Tout au plus, notons que le législateur québécois a pris soin d’exclure aux articles 2938 et 2939 C.c.Q. les droits personnels des droits soumis à la publicité.
Les remèdes disponibles en cas de non-respect de l’option d’achat
À la lumière de ce qui précède, nous pouvons nous poser la question suivante. Qu’arrive-t-il lorsqu’un bailleur vend son immeuble à un tiers malgré le fait qu’il ait consenti une option d’achat à son locataire pour le même immeuble?
Dans les circonstances, le locataire, qui est le bénéficiaire d’une option d’achat qui est lésé dans ses droits dispose de certains recours afin d’obtenir réparation pour le préjudice subi.
À cet égard, en cas de violation de la promesse de contracter que constitue l’option d’achat, où le promettant-vendeur (le bailleur) conclurait un contrat de vente avec un tiers, ce contrat demeurerait opposable au bénéficiaire de la promesse de contracter (le locataire), sans obstacle toutefois aux recours aux dommages-intérêts de ce dernier contre le promettant-vendeur et le tiers de mauvaise foi, agissant en toute connaissance de cause[12].
Ainsi, il sera possible pour le bénéficiaire de l’option d’achat de réclamer comme dommages la différence entre la valeur marchande actuelle de l’immeuble et le prix prévu à l’option d’achat[13].
D’après ce qui précède, comme plusieurs options d’achat ont été consenties avant la surchauffe immobilière des dernières années, il est dans l’intérêt des bénéficiaires de ces promesses de contracter de s’enquérir de leurs droits auprès de conseillers juridiques afin de s’assurer du respect et de la validité des options d’achat consenties à leur égard ou pour être conseillés adéquatement dans les recours qui s’offrent à eux.
[1] Procureure générale du Canada c. 555 Carrière Holdings inc., 2018 QCCA 2215.
[2] Lauzon c. Guertin, J.E. 89-1092 (C.S.); Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., 2018 QCCS 565, par. 77.
[3] Chaput c. Godin, 2014 QCCA 1505, par. 85; Gérard c. Belcourt Development Inc., 2013 QCCA 1972, par. 8.
[4] Bruno Verdon, « Nature et formation du bail », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Contrats nommés 1, fasc. 19, Montréal, Lexis Nexis Canada, feuilles mobiles, à jour au 11 juin 2017, par. 10; Pierre-Gabriel JOBIN, Le Louage – Collection Traité de droit civil, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, par. 8, p. 23-24.
[5] Agropur, coopérative agro-alimentaire c. Anjou (Ville), J.E. 2001-439 (C.S.), par. 39 et 40; Lauzon c. Guertin, préc. note 2.
[6] Lauzon c. Guertin, préc. note 2, p. 6.
[7] Finance Wentworth (Québec) inc. c. Produits Suncor Énergie, 2019 QCCS 1230, par. 100 ; Pierre-Gabriel Jobin et Michelle Cumyn, La vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 33 et ss.
[8] Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, par. 120.
[9] Chaput c. Godin, préc. note 3.
[10] René Gauthier, « La publicité des droits », dans Collection de droit 2022-2023, École du Barreau du Québec, vol. 7, Obligations et contrats, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2022, p. 276; Jean-Pierre Bousquet, « La publicité des droits », dans Collection de droit 2022-2023, École du Barreau du Québec, vol. 7, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2022, p. 217.
[11] Id. ; Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., préc. note 2; Articles 2938 et 2939 C.c.Q.
[12] Article 1397 C.c.Q.; Denys-Claude Lamontagne, Droit de la vente, 4e édition, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, p. 11 à 24, par. 20 et 21; Produits Suncor Énergie, s.e.n.c. c. Finance Wentworth (Québec) inc., 2012 QCCS 6287, (appel rejeté par 2014 QCCA 1175).
[13] Lauzon c. Guertin, préc. note 2.