Droit de la construction et appels d’offres publics
L.A. Hébert ltée c. Ville de Lorraine, 2023 QCCS 1020
La Cour supérieure s’est prononcée sur l’interprétation à donner à une clause du devis d’appel d’offres exigeant une certification de l’Autorité des marchés publics (« AMP »). Dans sa décision, la Cour indique qu’elle ne doit pas s’arrêter au texte de la clause uniquement, aussi clair soit-il, mais plutôt, valider sa limpidité à la lumière du devis dans son entier et du cadre juridique applicable.
La Cour conclut que le régime de la Loi sur les contrats des organismes publics [1] (la « Loi »), qui énonce la nécessité ou non d’une autorisation de l’AMP, n’exige l’autorisation de l’AMP que pour les contrats d’une valeur supérieure à 5 millions de dollars, alors que la demanderesse et le soumissionnaire ayant remporté la soumission avaient soumis des prix en deçà de ce seuil. De plus, la Loi prévoit qu’une ville doit demander la permission pour exiger l’autorisation de l’AMP pour des projets de moins de 5 millions de dollars, ce que la ville, défenderesse, n’a pas fait en l’instance.
Dans les circonstances, la Cour conclut que la clause, bien que claire en apparence, est contradictoire avec le régime législatif en place et que la ville était bien fondée d’octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire plutôt qu’à la demanderesse, et ce, malgré que le premier ne détienne pas l’autorisation de l’AMP.
Cette décision constitue une bonne illustration de l’idée selon laquelle une connaissance rigoureuse du cadre juridique applicable est la clé pour prévoir et exercer ses droits judicieusement.
Actions collectives
Hazan c. Micron Technology Inc., 2023 QCCA 132
Dans cette affaire, la Cour d’appel a réitéré qu’au stade de la demande d’autorisation d’exercer une action collective, une « certaine preuve » peut, en certaines circonstances, être requise pour satisfaire au critère de la « cause défendable » prévu à l’article 575 al. 2 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), et ce, même si les allégations sont en principe tenues pour avérées. Cette décision s’inscrit donc en continuité des principes établis dans l’arrêt Infineon [2].
Le fait d’exiger une « certaine preuve » au stade de l’autorisation ne constitue pas une incursion dans le fond de l’affaire, mais s’inscrit plutôt dans la fonction de filtrage que doivent exercer les juges d’autorisation.
Notons qu’un peu plus tard en 2023, la Cour d’appel a rendu un autre arrêt[3]sur le sujet, dans lequel elle énonce, sans toutefois écarter expressément Hazan, que « si les faits allégués sont suffisamment clairs, précis et spécifiques, la partie en demande est dispensée de fournir une « certaine preuve » au soutien de ce qu’elle allègue ». Il sera intéressant de suivre la jurisprudence qui se développera dans le sillon de ces deux arrêts pouvant paraître divergents.
Hébert c. 149667 Canada inc. (Centre Hi-Fi), 2023 QCCS 1679
Dans cette décision, les défenderesses soulèvent, à titre de moyens préliminaires, que la demande d’autorisation est irrecevable et non fondée pour trois motifs, soit :
- Le recours de la demanderesse est prescrit;
- Un jugement de la Cour supérieure fait autorité de chose jugée, puisqu’en 2016, la Cour supérieure a rendu un jugement rejetant l’action collective à l’encontre des mêmes défenderesses qui était, comme en l’espèce, basée sur l’application de l’article 256 de la Loi sur la protection du consommateur. Cette décision était toutefois fondée sur un motif purement procédural, et le jugement de 2016 n’a pas tranché le fond du litige ni le syllogisme juridique du recours; et
- Le recours est abusif puisqu’il cherche à rouvrir un débat déjà tranché.
La Cour conclut qu’il y a lieu de laisser l’affaire procéder au stade de l’autorisation, sauf pour la défenderesse Brick à l’égard de laquelle la demande en irrecevabilité est accueillie. En effet, la Cour considère qu’on ne peut rejeter une action collective au motif que le recours d’un seul membre est prescrit, alors que le recours individuel de la majorité des membres ne l’est pas. De plus, le rejet d’une demande d’autorisation fondée sur un motif d’ordre procédural, sans se prononcer sur le fond de la demande d’autorisation, ne fait pas autorité de chose jugée à l’égard d’une seconde demande, sauf en ce qui concerne la question procédurale décidée.
Secret professionnel
Commission scolaire de la Jonquière c. Intact Compagnie d'assurances, 2023 QCCA 124
Ce dossier illustre les risques de conflits inhérents aux polices d’assurance responsabilité lorsque l’obligation de défendre de l’assureur s’oppose à son obligation d’indemniser.
La Cour réitère l’importance de la séparation entre la « tête » responsable de l'obligation de défendre et celle responsable de l'obligation d'indemniser qui doit être préservée afin de donner pleinement effet au contrat d'assurance et éviter les risques de conflit d’intérêt.
Les informations (comptes d'honoraires, avis juridiques, correspondances, etc.) communiquées à la « tête » responsable de l'obligation de défendre sont protégées par le secret professionnel et ne doivent pas être communiquées à la « tête » responsable de l'obligation d'indemniser, à moins qu'il n'y ait renonciation expresse au secret professionnel.
Charland c. Théaudière, 2023 QCCS 225
Dans cette affaire, les défendeurs souhaitaient connaitre l’identité de la personne qui payait les honoraires des avocats de la demanderesse.
Cependant, la Cour conclut que les comptes d’honoraires des avocats – y compris le montant brut des honoraires – sont prima facie visés par le secret professionnel et sont présumés privilégiés. Ce principe s’étend également à l’identité du payeur des honoraires.
Cette présomption est toutefois réfragable par deux moyens :
- Il est démontré que les renseignements recherchés ne révéleraient rien en ce qui a trait aux services rendus, les conseils ou les avis donnés, et donc, qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que la divulgation des comptes d’honoraires révèle, directement ou indirectement, à l’observateur averti, des communications confidentielles entre avocat et client;
- Il est démontré que cette information n’est pas en lien avec le fondement de l’affaire et que sa divulgation ne causerait aucun préjudice au client.
Dans son analyse du premier moyen, la Cour estime que lorsqu’un litige est pendant, il est beaucoup plus probable que l’observateur averti puisse déceler des informations confidentielles – notamment quant à la stratégie de litige de la partie adverse – du simple montant des honoraires facturés.
Concernant le deuxième moyen, le fait de vouloir formuler un moyen de défense à partir des informations recherchées dans le compte d’honoraires sera considéré comme étant lié au mérite de la cause et comme pouvant porter préjudice au client.
La présomption voulant que les comptes d’honoraires de la demanderesse soient protégés par le secret professionnel n’a donc pas, en l’espèce, été repoussée.
Clause d’arbitrage ou d’expertise
Cayer c. 9372-2858 Québec inc., 2023 QCCS 3294
Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si la clause de contestation des états financiers de clôture contenue dans une convention d’achat-vente d’actions se qualifiait de clause d’arbitrage au sens de l’article 2638 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») ou s’il s’agissait simplement d’une clause d’expertise. La distinction étant importante, puisque selon s’il s’agit d’un mécanisme de détermination d’expert ou d’une clause d’expertise, l’article 622 C.p.c. ne trouve pas application et l’exception déclinatoire doit être rejetée, la Cour supérieure demeurant compétente.
La Cour réitère les cinq critères non-exhaustifs développés par la Cour suprême dans Sport Maska [4] permettant d’analyser le rôle que les parties ont voulu attribuer aux tiers chargés de régler leur dispute : (1) la langue utilisée par les parties; (2) le degré de similitude entre la procédure choisie et une procédure judiciaire; (3) le caractère définitif et contraignant de la décision du tiers; (4) déterminer si le tiers doit trancher entre des arguments contradictoires ou s’il doit plutôt s'appuyer sur ses connaissances ou son expérience personnelles; et (5) déterminer si l'accord est conforme aux dispositions impératives de la loi régissant l'arbitrage.
En l’espèce, la demande d’exception déclinatoire est rejetée, la mention que la décision de l’expert est finale et sans appel « sauf dans le cas d’erreur grossière ou de faute lourde » contenue dans la clause démontrant que les parties n’avaient pas l’intention d’exclure totalement les tribunaux.
La rédaction de la clause et le rôle que les parties ont voulu attribuer aux tiers sont primordiaux. Lorsque les parties acceptent un processus de règlement de différends qui n’est pas final, le tribunal ne peut décliner compétence.
Interprétation des contrats
9208-1124 Québec inc. c. Dubé, 2023 QCCA 1040
La Cour d’appel réitère la norme de contrôle applicable lorsque le pourvoi porte sur l’interprétation d’un contrat et revient sur les règles d’interprétation du contrat ainsi que sur la portée de l’article 1432 du C.c.Q.
La Cour, en s’appuyant sur la décision Ledcor Construction Ltd.[5] de la Cour suprême du Canada, mentionne que, sauf dans les cas où les tribunaux ont à examiner un contrat-type, dont l’interprétation a valeur de précédent, et que l’exercice interprétatif ne repose sur aucun fondement factuel significatif propre aux parties concernées, l’interprétation d’un contrat demeure une question mixte de faits et de droit soumise à la norme de l’erreur manifeste et déterminante.
Malgré l’absence d’erreur manifeste et déterminante, la Cour se penche sur le deuxième moyen d’appel en vertu duquel l’appelante soutenait que le contrat doit, selon l’article 1432 du C.c.Q., s’interpréter en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée.
Or, la Cour rappelle que cette règle est une mesure d’interprétation de dernier recours qui ne s’applique qu’à la suite de l’analyse de toutes les autres règles d’interprétation, et uniquement, lorsqu’un « doute irréductible » subsiste néanmoins dans l’esprit du juge concernant la commune intention des parties.
Conclusion
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[2] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.
[3] Homsy c. Google, 2023 QCCA 1220.
[4] Sport Maska inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564.
[5] Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37.