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Quels sont les droits pouvant faire l’objet d’une renonciation dans une convention unanime des actionnaires? La Cour d’appel de l’Ontario fournit des indications

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Bulletin marchés des capitaux et fusions et acquisitions

Survol et principaux points à retenir

Deux récentes décisions des tribunaux de l’Ontario dignes d’intérêt pour les investisseurs en capitaux privés ont statué sur la capacité des actionnaires de renoncer au droit à la dissidence prévu aux termes de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO »). Voici les principaux points à retenir :

  • Les tribunaux font preuve d’une grande retenue à l’égard des conventions unanimes des actionnaires soigneusement rédigées.
  • Le droit à la dissidence prévu à la LSAO peut faire l’objet d’une renonciation seulement en présence de termes clairs et non équivoques.
  • Bien qu’il ne soit peut être pas nécessaire de faire mention exacte des droits faisant l’objet de la renonciation, un recoupement ou un conflit de fond direct entre la renonciation prévue à la convention unanime des actionnaires et les droits en question pourrait être requis.
  • Les décisions illustrent l’importance (1) du fondement factuel de l’analyse de la renonciation, et (2) de vérifier qu’il y a absence de conflit entre les modalités de la convention unanime des actionnaires et les statuts de la société.
  • Même si ces décisions traitent uniquement de la renonciation au droit à la dissidence prévu par la loi, compte tenu de la vaste étendue de la renonciation que les tribunaux ont jugée exécutoire, elles donnent également à penser qu’une renonciation à d’autres droits des actionnaires prévus par la loi pourrait être possible, pourvu qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public.

Notre analyse plus détaillée et nos commentaires sont présentés ci-après. Pour en savoir plus sur les initiatives de leadership éclairé de Fasken relativement au capital-investissement, à la gouvernance d’entreprise et aux fusions et acquisitions, visitez notre Centre du savoir sur les marchés des capitaux et les fusions et acquisitions

Le contexte factuel en bref

Les décisions ont été rendues à la suite d’un litige successoral entre les membres d’une famille concernant une société de portefeuille, constituée en vertu de la LSAO, qui détient un portefeuille d’actifs immobiliers. Au décès du père, les quatre enfants détenaient chacun 25 % des actions ordinaires sans droit de vote de la société, et la succession du père, administrée par la mère et les quatre enfants, détenait la totalité des actions privilégiées comportant droit de vote de la société. Même si les quatre enfants et la mère étaient fiduciaires, la mère a obtenu un droit de veto pour conserver le contrôle de la succession et, par extension, des actions comportant droit de vote de la société.

Deux ans après le décès du père, la société de portefeuille a été fusionnée avec une société du même groupe et, en plus des statuts de fusion (les « statuts »), les actionnaires de la famille ont signé une convention unanime des actionnaires (la « convention »). Conformément au testament du père, l’article 3.01 de la convention accordait à la mère, à titre de fiduciaire, le pouvoir à sa [traduction] « seule et unique discrétion » de vendre la totalité ou la quasi-totalité des actifs de la société[1]. L’article 9.01 de la convention stipulait que les actionnaires ont renoncé [traduction] « aux dispositions de la [LSAO] [...] qui pourraient entrer en conflit avec les dispositions de [la convention][2]».

Dix ans plus tard, la mère a voulu procéder à la liquidation de la société et de ses biens, et tous les fiduciaires, à l’exception de l’une de ses filles, ont voté en faveur de la liquidation. Lorsque la mère et la fiducie ont poursuivi les procédures de liquidation, la fille a soutenu qu’elle avait le droit d’exercer son droit à la dissidence en vertu du paragraphe 184(3) de la LSAO, notamment parce que les statuts faisaient expressément référence à cette disposition. Les autres membres de la famille ont soutenu que le droit à la dissidence de la fille en vertu de la LSAO avait fait l’objet d’une renonciation aux termes des articles 3.01 et 9.01 de la convention.

Argumentaire des parties

S’appuyant sur la jurisprudence[3], la fille a fait valoir principalement que le droit à la dissidence en vertu de la LSAO ne peut être supplanté [traduction] « sans un libellé clair et explicite » et que les modalités de la convention ne respectaient pas cette norme[4]. Elle a fait valoir que, même si l’article 3.01 de la convention autorisait la succession à procéder à la disposition de la totalité des actifs de la société, cela n’empêchait pas l’exercice simultané de son droit à la dissidence en vertu de la LSAO. Elle a également fait valoir que son interprétation évitait un conflit entre les dispositions de la convention et des statuts[5].

Les membres de la famille ont insisté sur l’octroi à la mère, à titre de fiduciaire de la succession, d’un [traduction] « pouvoir discrétionnaire exclusif et absolu » à l’égard de la vente des actifs de la société aux termes de l’article 3.01 de la convention et sur le fait que toute disposition incompatible de la LSAO avait fait l’objet d’une renonciation conformément à l’article 9.01[6]. Ils ont également mis l’accent sur les dispositions connexes de la convention qui obligent les actionnaires à [traduction] « coopérer pleinement » pour donner [traduction] « plein effet au but et à l’esprit » de la convention[7]. Ils ont souligné que l’objectif de la convention était de donner effet au testament du père et d’accorder à la mère le pouvoir décisionnel ultime de [traduction] « prévenir l’impasse entre les quatre enfants[8]». En ce qui a trait au renvoi exprès des statuts au droit à la dissidence prévu par la LSAO, la famille a soutenu que la clause d’« intégralité » de la convention, à l’article 10.01, empêchait le recours aux statuts.

La décision de la Cour supérieure de l’Ontario

La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a commencé par citer trois décisions connexes de la Cour suprême du Canada (la « CSC »). Premièrement, les parties peuvent renoncer par contrat à des droits prévus par la loi, pourvu que cette renonciation ne soit pas contraire à l’ordre public[9]. Deuxièmement, si quelqu’un veut renoncer à une disposition législative, il « doit le faire de façon claire et nette[10] ». Troisièmement, les contrats doivent être interprétés à la lumière de leur fondement factuel[11].

En ce qui concerne la convention, la Cour a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un [traduction] « document long ou compliqué » et que le libellé des articles 3.01 et 9.01 était [traduction] « clair et non équivoque[12] ». De plus, la Cour a conclu que les actionnaires avaient, en signant la convention, [traduction] « convenu d’accorder à [la mère] le pouvoir discrétionnaire exclusif de vendre les biens de [la société[13] ». Par conséquent, l’argument de la fille n’a pu être retenu, « principalement » parce que l’article 3.01 de la convention traitait de la [traduction] « situation même » visée par le renvoi dans les statuts au droit à la dissidence prévu à la LSAO[14].

Concrètement, la Cour a conclu qu’en raison du [traduction] « conflit direct » entre la convention et le renvoi dans les statuts au droit à la dissidence prévu par la LSAO, le libellé des articles 3.01 et 9.01 de la convention était [traduction] « suffisamment clair pour écarter le droit à la dissidence[15] ». Si l’argument de la fille avait été retenu, il aurait fallu faire abstraction des [traduction] « attentes raisonnables » des parties lors de la signature de la convention concernant l’inapplicabilité du droit à la dissidence et cela aurait eu pour effet de [traduction] « rendre l’article 3.01 dépourvu de sens[16] ». En outre, la Cour a souligné que les dispositions de la convention qui obligent les actionnaires à [traduction] « donner plein effet au but et à l’esprit » de la convention soutenaient également cette conclusion[17].

En ce qui concerne la question de savoir si la renonciation au droit à la dissidence est contraire à l’ordre public, la Cour a cité la CSC en expliquant qu’il n’y avait aucune raison de croire que les articles 3.01 et 9.01 de la convention étaient iniques[18]. La convention [traduction] « reflétait l’intention » que l’entreprise familiale comptant peu d’actionnaires soit gérée conformément au testament du père, y compris par l’octroi d’un droit de veto à la mère[19]. La fille a eu l’occasion de demander des conseils juridiques avant de signer la convention, et elle n’a pas affirmé qu’elle n’avait pas compris ses modalités ou qu’elle n’était pas d’accord avec celles‐ci[20]. Il n’y avait [traduction] « aucune raison de croire » que les articles 3.01 et 9.01 de la convention étaient [traduction] « fondamentalement injustes dans le contexte de cette famille et de son entreprise[21] ». En outre, on n’a cité aucune décision selon laquelle la renonciation au droit à la dissidence en vertu de la LSAO est contraire à l’ordre public[22].

Toutefois, la Cour a émis certaines réserves. Elle a clairement établi que ses conclusions ne s’appliquaient qu’à la vente des actifs de la société et que si la mère avait cherché à se départir des actifs de la société [traduction] « autrement que par une vente », par exemple au moyen d’un transfert en nature, l’article 3.01 ne s’appliquerait pas[23], puisque la preuve n’a pas établi qu’un transfert en nature était [traduction] « envisagé par les actionnaires » lors de la signature de la convention[24]. Le « libellé » de la convention ne donnait pas non plus à la mère [traduction] « le pouvoir d’imposer ou de provoquer unilatéralement un tel transfert ou échange aux actionnaires ordinaires, sans leur approbation[25] ».

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario

La confirmation de la décision de la Cour par la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») a été relativement brève et axée sur l’objectif sous-jacent de la convention. La décision a statué que

l’interprétation du juge de première instance reflétait le libellé clair de la convention. Fait important, elle est conforme à l’objet constitutif de la [société], à savoir gérer et exploiter les actifs [du père] conformément à son testament, y compris par le veto accordé à [la mère] pour qu’elle puisse conserver le contrôle de la société. Dans ce contexte, la renonciation à tout droit à la dissidence qui pourrait empêcher la distribution ordonnée des actifs de la succession est tout à fait raisonnable et conforme à l’intention objective des parties exprimée dans la convention[26].

Points pratiques à retenir pour la rédaction de conventions entre actionnaires

Quels sont les principaux points à retenir pour les investisseurs en capitaux privés dans le cadre de la rédaction et de la négociation de conventions entre actionnaires impliquant des sociétés de portefeuille? Nous en soulignons sept.

  • D’une part, le litige porte sur un contexte différent de celui de l’investissement en capitaux privé, soit une entreprise familiale sans actionnaires institutionnels. Toutefois, d’autre part, le litige présente des parallèles importants avec les structures courantes d’investissement en capitaux privés, c’est-à-dire un investisseur dominant disposant d’un vaste pouvoir décisionnel sur les opérations de sortie, comme la vente de la quasi-totalité des actifs de la société. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que les tribunaux appliquent désormais les décisions de la Cour et de la Cour d’appel dans un contexte de capital-investissement privé.
  • Les décisions s’appuient sur la jurisprudence de la CSC en affirmant que la renonciation aux droits prévus par les lois sur les sociétés par actions doit être faite [traduction] « de façon claire et nette ». Toutefois, la Cour n’a pas exigé de renvoi exprès au droit à la dissidence des actionnaires en vertu de la LSAO pour donner effet à la renonciation. Un recoupement direct et substantiel entre le pouvoir accordé aux termes de la convention et le droit prévu par la loi qui fait l’objet de la renonciation est suffisant. Cela signifie qu’un vaste pouvoir accordé à un actionnaire ou à un groupe d’actionnaires en particulier combiné à une clause de renonciation rigoureuse peut suffire pour renoncer à tout droit conflictuel relatif aux sociétés par actions prévu par la loi. Cela dit, la réserve contenue dans la décision de la Cour mentionnant que l’article 3.01 de la convention ne s’appliquerait pas à un transfert en nature ou à un échange d’actifs indique qu’un recoupement ou qu’un conflit de fond direct est nécessaire pour qu’une renonciation correspondante s’applique. Par conséquent, si un investisseur en capitaux privés souhaite qu’un droit prévu par la loi fasse l’objet d’une renonciation, il serait prudent de mentionner expressément le droit dont il est question. Il serait également prudent de préciser les situations où un investisseur en capitaux privés a un droit d’agir et à l’égard desquelles le droit d’un actionnaire fait l’objet d’une renonciation.
  • La brève confirmation de la Cour d’appel a souligné l’importance du fondement factuel entourant la convention, à savoir l’intention de donner effet au testament du père. Elle a également fait écho à la conclusion de la Cour selon laquelle le conflit entre les dispositions de la convention et de la LSAO, et la prépondérance de la convention, devraient être raisonnablement pris en compte par les actionnaires au moment de la signature. Cette mise en garde milite en faveur de la clarté, de l’absence d’ambiguïté et de la cohérence quant à l’étendue des pouvoirs que l’on entend accorder à l’investisseur en capitaux privés. La convention devrait également prévoir expressément que l’étendue du pouvoir accordé à l’investisseur en capitaux privés vise à passer outre aux dispositions législatives conflictuelles des autres actionnaires et que la renonciation correspondante de ces autres actionnaires s’applique dans tous les cas.
  • Le raisonnement de la Cour concernant la prépondérance de la convention sur le renvoi exprès dans les statuts au droit à la dissidence prévu par la LSAO reposait sur le libellé précis de la clause d’intégralité de la convention et sur l’interprétation de la Cour selon laquelle, bien que datée du même jour, la convention a été conclue après l’entrée en vigueur des statuts[27]. Il serait prudent de s’assurer que tout conflit entre les statuts d’une société de portefeuille et le pouvoir qu’une convention vise à accorder à un actionnaire majoritaire soit abordé de façon plus directe, soit au moyen de la modification des statuts, soit au moyen d’une disposition prévoyant expressément que la convention a préséance en cas de conflit.
  • La renonciation aux protections prévues par la loi n’a pas rendu la convention inexécutoire dans cette affaire, mais la Cour n’a pas fourni d’indications sur les critères d’intérêt public qui pourraient justifier une décision de ne pas appliquer une renonciation contractuelle dans d’autres contextes. Par conséquent, il pourrait y avoir d’autres litiges à l’avenir concernant le caractère exécutoire des renonciations aux droits prévus par la législation en matière de sociétés par actions.
  • En raison du manque de directives relativement aux critères d’ordre public pouvant rendre inexécutoire une renonciation contractuelle et des commentaires de la Cour supérieure  indiquant que les faits de cette affaire pourraient limiter l’applicabilité de la décision à d’autres situations, il est recommandé à tout rédacteur averti d’éventuelles conventions entre actionnaires d’envisager de ne pas se limiter à l’utilisation de renonciations, mais d’avoir également recours à d’autres techniques de rédaction pour renforcer le caractère exécutoire de leurs conventions entre actionnaires.  Selon les circonstances, de telles techniques pourraient se traduire non seulement par la renonciation à la disposition spécifique de la loi sur les sociétés pertinente, mais également par (1) l’engagement de l’actionnaire à voter en faveur de la mesure particulière, et (2) à défaut de ce faire, l’autorisaion  à la société de recourir à une clause de procuration pour rendre la mesure exécutoire.
  • Ces décisions concernent une société de l’Ontario, et il faut donc faire preuve de prudence lorsqu’on tente d’appliquer ces principes à d’autres territoires. Par exemple, si on reprenait la même trame factuelle pour une société constituée en vertu de la Business Corporations Act (la « BCBCA ») de la Colombie-Britannique, le résultat pourrait différer. Contrairement à la LSAO, le paragraphe 239(1) de la BCBCA limite la capacité d’un actionnaire à renoncer de façon générale à son droit à la dissidence et permet uniquement aux actionnaires de renoncer à leur droit à la dissidence [traduction] « à l’égard d’une mesure particulière prise par une société » dans une renonciation écrite distincte. Par conséquent, une renonciation générale comme celle qui se trouve à l’article 9.01 de la convention dans les décisions Husack n’aurait probablement pas constitué une renonciation valide en vertu de la BCBCA puisqu’elle ne s’appliquait pas à une mesure particulière prise par une société.

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  • Joëlle Simard, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 5276, jsimard@fasken.com
  • Melissa Cook, Associée, Calgary, AB, +1 403 261 8499, mcook@fasken.com
  • Paul Blyschak, Avocat-conseil, Calgary, AB, +1 403 261 9465, pblyschak@fasken.com
  • David Pivrnec, Avocat, Vancouver, BC, +1 604 631 4812, dpivrnec@fasken.com

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