Les avocats de Fasken ont préparé une série d’articles sur le rôle des minéraux critiques dans la transition énergétique, du point de vue du Canada. Ils apportent un regard nouveau sur les enjeux en droit minier, énergétique, environnemental, autochtone et fiscal, ainsi qu’en matière de changements climatiques et de sécurité nationale. Dans les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième articles de cette série, nous avons examiné le rôle du gouvernement du Canada ainsi que celui des différentes provinces canadiennes. Dans ce septième et dernier article, nous examinons les initiatives prises par les territoires : le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon.
Le gouvernement du Nunavut a publié un document intitulé Aperçu 2020 – Activités d’exploitation minérale, d’exploitation minière et de géoscience [1].
Le Nunavut couvre une superficie sur deux millions de kilomètres carrés. Il représente 25 % de la masse terrestre du Canada. Sa population est de 39 553 habitants, répartie dans 25 collectivités, et 84 % des résidents sont des Inuits. Sa capitale est Iqaluit.
Le Nunavut est le plus récent territoire du Canada et résulte d’un traité moderne [2], qui, selon l’Aperçu 2020, « énonce et affirme clairement les droits de propriété et d’utilisation des terres et des ressources du Nunavut » [3].
Le Nunavut présente un énorme potentiel de ressources. Quatre mines ont été établies au Nunavut au cours de la dernière décennie : la mine d’or Hope Bay, les complexes miniers aurifères Meliadine et Meadowbank (tous trois exploités par Agnico Eagle) et la mine de fer Mary River (Baffinland Iron Mines Corporation). Le gouvernement du Nunavut s’est engagé à bonifier les géosciences publiques afin d’attirer davantage d’investisseurs dans le secteur de l’exploration.
Le document fait référence au plan d’action canado-américain pour la collaboration d’action conjointe Canada–États-Unis dans le domaine des minéraux critiques :
Au début de 2020, le Canada et les États-Unis ont complété le plan d’action canado-américain pour la collaboration dans le domaine des minéraux critiques. Font partie de ces « minéraux critiques », terme choisi par les gouvernements, l’aluminium, l’antimoine, l’arsenic, la barytine, le béryllium, le bismuth, le césium, le chrome, le cobalt, les éléments du groupe du platine, l’étain, le gallium, le germanium, le graphite, le hafnium, l’hélium, l’indium, le lithium, le magnésium, le manganèse, le niobium, la potasse, le rhénium, le rubidium, le scandium, le spath fluor, le strontium, le tantale, le tellure, les terres rares, le titane, le tungstène, l’uranium, le vanadium et le zirconium. Le monde a besoin de ces minéraux critiques pour d’importants secteurs manufacturiers, notamment les technologies de communication, l’aérospatiale et la défense et les technologies propres. Le plan d’action encouragera les initiatives mixtes, notamment la coopération en matière de recherche et de développement, la modélisation de la chaîne d’approvisionnement et un encadrement renforcé de l’industrie.
Le Nunavut a des occurrences pour bon nombre de minéraux parmi les 35 minéraux critiques du plan d’action : antimoine, arsenic, baryum/minéraux du baryum, bismuth, chrome, cobalt, éléments du groupe du platine, fluorite/minéraux du fluor, graphite, lithium, manganèse, niobium, tantale, tellure, terres rares, titane, tungstène, uranium et vanadium. Par la collecte et la maîtrise des activités géoscientifiques cruciales que sont la cartographie et la compilation, le Nunavut pourra contribuer aux futurs efforts pour mettre en évidence un nombre accru de ces minéraux critiques. [4]
Les Territoires du Nord-Ouest ont une stratégie d’exploitation des minéraux [5] générale et ils ont également une stratégie énergétique 2030 [6].
Les Territoires du Nord-Ouest représentent 13,5 % de la masse terrestre du Canada. Ils comptent une population de 41 000 habitants répartis dans 33 collectivités. Sa capitale est Yellowknife.
Dans le message du premier ministre Bob McLeod, que nous traduisons ici, nous lisons : « Les Territoires du Nord-Ouest ont le potentiel d’être une puissance économique; nous disposons de nombreuses ressources économiques, notamment le diamant, l’or, le cobalt, le bismuth, le tungstène et les éléments des terres rares » [7]. La création de cette stratégie a nécessité des consultations auprès de groupes autochtones de chaque région des Territoires du Nord-Ouest, et un des piliers de la stratégie est l’engagement et le renforcement des capacités des communautés autochtones afin qu’elles puissent participer efficacement à toutes les étapes du processus de développement minéral et du processus de réglementation [8]. En plus de s’assurer que la stratégie est conforme aux accords de revendications territoriales et aux droits et titres autochtones, elle inclut le principe de garantir « [le respect] des modes de vie traditionnels » [9].
Le gouvernement du Yukon a publié un document intitulé Stratégie de développement de l’industrie minière et recommandations [10] en décembre 2020.
Le territoire du Yukon est le plus petit des trois territoires. Il s’étend sur 482 443 km², sa population est de 38 000 habitants, répartie dans 29 localités. Sa capitale est Whitehorse.
La stratégie définit plusieurs priorités stratégiques, dont la priorité stratégique no 5 : « faire preuve de responsabilité environnementale et être prêt à adopter des pratiques pour lutter contre les changements climatiques, notamment en utilisant des mesures relatives à l’énergie verte » [notre traduction]. La stratégie avance que « le besoin en minéraux utilisés pour fabriquer les produits que les Yukonnais utilisent pour soutenir notre haute qualité de vie a également été relevé, en particulier les minéraux critiques requis pour l’économie verte » [11] [notre traduction]. Le territoire prévoit établir un régime moderne de gestion des ressources minérales qui soit conforme à tous les traités et accords conclus avec les peuples autochtones, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. [12]
Du côté de la demande, le gouvernement du Yukon a publié un document d’orientation intitulé Notre avenir propre – La stratégie du Yukon sur les changements climatiques, l’énergie et l’économie verte [13].
Cette stratégie définit les quatre buts suivants :
1. Réduire les émissions de gaz à effet de serre du Yukon.
2. Veiller à ce que les Yukonnais aient accès à une source fiable et abordable d’énergie renouvelable.
3. S’adapter aux répercussions des changements climatiques.
4. Bâtir une économie verte.
La stratégie reconnaît le rôle que joue l’exploitation minière dans la transition énergétique : « L’exploitation minière joue un rôle central dans la transition vers une économie verte. Essentiels aux technologies faibles en carbone, les minéraux se trouvent entre autres dans les batteries, les éoliennes, les panneaux solaires et les véhicules électriques. L’atteinte d’une cible d’intensité des émissions aidera l’industrie minière du Yukon à produire de façon durable les matériaux nécessaires à l’économie verte mondiale ». [14]
La stratégie prévoit une réduction des gaz à effet de serre de 201 kilotonnes d’ici à 2030, ce qui est loin de l’objectif de 263 kilotonnes pour atteindre l’objectif de 30 % requis par l’Accord de Paris. L’un des appels à l’action du gouvernement du Yukon est d’accroître le nombre de véhicules sans émission sur la route, ce qui signifie également plus de bornes de recharge rapide sur le territoire.
Il est intéressant de noter que le document indique qu’une loi devrait être élaborée d’ici 2024 pour autoriser les entreprises privées à vendre de l’électricité aux fins de la recharge des véhicules électriques.
Les minéraux critiques sont abordés de manière très superficielle dans le document : « Comme la demande en métaux tels le cuivre, le fer et le plomb augmente pour fabriquer davantage de panneaux solaires et d’autres technologies énergétiques propres, il est important que les activités minières soient écoénergétiques.» [15]
Le document ne mentionne pas la nécessité d’exploiter les minéraux critiques sur le territoire.
Conclusion
Il est certainement trop tôt pour tirer des conclusions sur la question de savoir si nous avons une politique d’approvisionnement en minéraux critiques qui correspond à nos politiques visant à encourager la demande de véhicules électriques à batterie, de parcs éoliens et de panneaux solaires, d’autant que deux provinces – l’Ontario et de l’Alberta – n’ont pas publié leurs documents stratégiques finaux sur le sujet.
Cela dit, à l’examen de toutes ces politiques, rapports, documents et plans, on ne peut s’empêcher d’éprouver un malaise.
En tant que pays, nous faisons un effort considérable, un effort exceptionnel, pour encourager nos citoyens à électrifier leurs biens de consommation, par exemple, en achetant des voitures électriques. Mais nous ne déployons pas un effort équivalent du côté de l’offre. Jusqu’à présent, seul le Québec a compris qu’il devait y avoir une adéquation entre l’offre et la demande.
Dans sa stratégie sur les minéraux, la Suède, pays que les législateurs et les citoyens canadiens étudient souvent, avance que « la croissance verte sans accès aux matières premières pour les technologies vertes est irréalisable » [notre traduction]. [16]
Si nous ne faisons pas un effort particulier pour trouver davantage de minéraux critiques dans notre pays, nous pourrions très bien nous retrouver dans la situation décrite par l’Agence internationale de l’énergie dans son rapport sur les minéraux critiques dans la transition énergétique :
[Notre traduction] La perspective d’une augmentation rapide de la demande de minéraux essentiels – bien supérieure à ce qui a été observé par le passé dans la plupart des cas – soulève d’énormes questions quant à la disponibilité et à la fiabilité de l’approvisionnement. Par le passé, les tensions sur l’équilibre entre l’offre et la demande de différents minéraux ont suscité des investissements supplémentaires et des mesures visant à modérer ou à remplacer la demande. Mais ces réponses ont été apportées avec un décalage dans le temps et se sont accompagnées d’une volatilité considérable des prix. Des épisodes similaires à l’avenir pourraient retarder les transitions vers les énergies propres et faire grimper leur coût. [17]
Nous en sommes donc là : nous poussons très fort pour encourager la demande, mais poussons-nous assez fort pour encourager l’offre? Il ne semble pas que nous le fassions.
En fait, si nous examinons les documents, les cadres et les discussions sur le thème de la transition énergétique, nous faisons un effort extraordinaire pour convaincre et contraindre les Canadiens à passer des moteurs à combustion interne aux véhicules électriques. Dans certaines villes, les moteurs à combustion interne seront interdits en 2035.
Si l’on considère que les projets miniers prennent en moyenne 16 ans pour arriver à la production, il est clair que nos objectifs sont extrêmement optimistes. Si, d’ici 2035, les mines de lithium, de cobalt et de graphite du Canada ne produisent pas les minéraux nécessaires à l’électrification de l’industrie automobile canadienne, nous devrons recourir à des minéraux fournis par des pays qui ne respectent peut-être pas les mêmes normes environnementales que les nôtres. La plupart des Canadiens trouveraient cela inacceptable.
Un écart subsiste entre les objectifs de décarbonisation du Canada et la politique de l’offre requise pour électrifier nos industries de l’énergie et de l’automobile. De plus, en tant que pays riche en minéraux critiques, le Canada est dans une position unique pour soutenir le développement d’une économie mondiale à faible émission de carbone, avec des normes environnementales et sociales élevées. En passant en revue et en examinant les initiatives provinciales, territoriales et nationales du Canada en matière de minéraux critiques, nous publions cette série pour faire avancer les efforts visant à accroître la certitude réglementaire et à combler cette lacune.
Les auteurs souhaitent remercier Claude Jodoin (fiscalité), Janet Howard (électricité), Allison Sears (hydrogène), Andrew House (sécurité nationale) et Emilie Bundock (droit autochtone) de leur contribution.
[1] Disponible en ligne :
https://m.cngo.ca/wp-content/uploads/Exploration_Overview_2020-French.pdf
[le « Plan du Nunavut »]
[2] L’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, promulgué par la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (L.C. 1993, ch. 29).
[3] Plan du Nunavut, page 4
[4] Plan du Nunavut, page 21
[5] Disponible en ligne (uniquement en anglais) :
https://www.iti.gov.nt.ca/sites/iti/files/nwt_mineral_development_strategy.pdf
[La stratégie des Territoires du Nord-Ouest]
[6] Disponible en ligne (uniquement en anglais) :
https://www.inf.gov.nt.ca/sites/inf/files/resources/gnwt_inf_7047_energy_strategy_p7_0.pdf
[7] La stratégie des Territoires du Nord-Ouest, page 4
[8] La stratégie des Territoires du Nord-Ouest, page 19
[9] La stratégie des Territoires du Nord-Ouest, page 13
[10] Disponible en ligne (uniquement en anglais) :
https://yukon.ca/sites/yukon.ca/files/emr/emr-yukon-mineral-development-strategy-recommendations.pdf
[La stratégie de l’industrie minière du Yukon]
[11] La stratégie minérale du Yukon, page 42
[12] La stratégie minérale du Yukon, page 16
[13] Disponible en ligne :
https://yukon.ca/sites/yukon.ca/files/env/env-our-clean-future-fr.pdf
[La stratégie du Yukon sur les changements climatiques]
[14] La stratégie du Yukon sur les changements climatiques, page 13
[15] La stratégie du Yukon sur les changements climatiques, page 60
[16] Disponible en ligne (uniquement en anglais) :
https://www.government.se/contentassets/78bb6c6324bf43158d7c153ebf2a4611/swedens-minerals-strategy.-for-sustainable-use-of-swedens-mineral-resources-that-creates-growth-throughout-the-country-complete-version#:~:text=The%20Swedish%20minerals%20strategy%20takes,demand%20for%20metals%20and%20minerals, page 8
[17] Le rapport, page 11